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de Maximilien, et coup sur coup, le bruit se répandait qu’il avait mis la main sur la régence du royaume d’Espagne et qu’enfin il était couronné Empereur, avec le consentement du Pape, à Trente, dans la vieille cathédrale, en grande cérémonie.

Voilà donc Bianca impératrice, en titre cette fois. Elle ne devait pas l’être longtemps. Sa vie approchait de son terme, abrégée par la mauvaise hygiène et les excès de table, que n’avaient cessé de dénoncer les médecins. Son mari ne s’en préoccupait guère : il avait à tirer vengeance de Venise et sa grande affaire, pour l’instant, était de faire passer le col du Brenner à sa grosse artillerie, pour la mener devant Padoue, où il devait rencontrer deux chevaliers selon son cœur : Bayard et La Palisse. Puis, il avait à se débattre devant la Diète d’Augsbourg, pour en tirer quelques subsides ou quelques troupes, qu’elle lui mesurait chichement. Toute l’Europe était intriguée et inquiète des évolutions de ce subtil mégalomane. Pendant ce temps, quelque part, dans un sombre palais d’Espagne, gémissait la veuve de son fils, Jeanne la Folle, et dans un autre pays, grandissait l’enfant prédestiné, le dernier aboutissement de ses rêves, qui devait s’appeler Charles-Quint. Que pouvait peser Bianca, elle qui n’avait même pas su lui donner un fils, en regard de ces lourdes besognes, de ce globe du monde à conquérir et de cet enfant dressé à le tenir dans sa petite main !

Il n’avait pas été là, lors de son arrivée en Allemagne ; il ne fut pas là, lors de son départ, — du suprême départ. Quand elle mourut, à Innsbruck, le 31 décembre 1510, il était à Fribourg-en-Brisgau, occupé à négocier ou à combattre avec toute l’Europe. La disparition de l’Italienne comptait peu. Elle laissait encore moins de vide qu’elle n’avait tenu de place. Il la pleura, cependant, en termes élogieux, mesurés, choisis, la fit pleurer par ordre et prétendit même que sa fille regrettât celle qui, pour elle, n’était qu’une belle-mère, ou en fit au moins le geste décent. Après quoi, il se remit au travail, au puzzle de sa vie dirions-nous aujourd’hui : le « remembrement » de l’Empire.

Au reste, si une vision féminine eut pu l’en distraire, c’eût été le souvenir de sa première femme, Marie de Bourgogne. Il n’avait jamais cessé de la regretter et de l’aimer. Elle avait été bien peu de temps sa compagne, mais la compagne de sa jeunesse, du temps où les années comptent double et où les couleurs dont s’illumine la vie sont d’inaltérables couleurs. Il