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reproduite, ici, en une matière éternelle, — témoin d’une société où les modes les plus futiles trouvaient un artiste pour les léguer à la postérité, sous une forme indestructible et sacrée et la double protection de l’Art et de la Mort.

Ces deux épouses successives et dissemblables de Maximilien, ce sont les deux aspects contradictoires de sa vie, et de son âme multiple et inquiète. La première, la fille de Charles le Téméraire, c’est le symbole d’un monde caduc, le monde particulariste, fondé sur la force du seigneur et de ses gens d’armes, cherchant à vivre et à conquérir sans se mélanger. La seconde, la nièce du More, c’est le symbole de la politique nouvelle, faite de concessions et d’alliances, la reconstruction des grands états, fondée sur la force encore, mais aussi sur des concessions mutuelles et des intérêts coalisés. L’un de ces deux mondes venait de s’effondrer à Granson et à Morat ; l’autre naissait à peine, à travers les ruines du moyen âge. Et lui, Maximilien, plongeant dans le monde ancien par toutes ses racines, tendait curieusement les bras vers les horizons illimités de l’avenir. C’est cette attitude à la Janus qui en fait, pour l’Histoire, une si mystérieuse et si troublante physionomie. :

Il est là, lui aussi, dans l’église d’Innsbruck, mais soulevé bien au-dessus de ses deux femmes par sa dignité suprême. Juché sur son tombeau vide, comme sur un trône, la tête coiffée de l’énorme diadème impérial qui porte, sur ses arceaux conjugués, le globe du monde et la Croix rédemptrice, absorbé dans une méditation séculaire et, — comme il convient à l’Empereur qu’il fut, au Pape qu’il eût voulu être, — seuil On n’a pas osé lui donner d’autres compagnes que les Vertus Cardinales. Si l’on évoque, à côté de ce fier cénotaphe, les paisibles figures de la Chartreuse de Pavie : Ludovic le More étendu, dans le repos éternel, auprès de la compagne de sa vie, Béatrice d’Este, on mesure la distance entre les deux races : le duc d’Autriche, empereur d’Allemagne, rattaché par toutes les chaînes de la tradition au monde féodal, solitaire dans la béatification de son pouvoir suprême et de son droit divin, — et le politique des temps nouveaux, fils de parvenu, philosophe de la Renaissance, vaguement orienté vers les conceptions égalitaires de l’humanité : ici le héros d’Albert Dürer, là-bas, l’ami de Léonard de Vinci.