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elles sont le résultat de mes longues observations. Aucun peuple, et moins que tout autre le peuple allemand, grossier et bas, malgré sa culture analytique beaucoup trop vantée, ne peut nous remplacer à la tête de la civilisation. Nous vivrons donc, et, pour nous, vivre, c’est avoir la suprématie d’un genre quelconque ; nous ne resterons les derniers qu’en cessant d’être.

Je suis moins rassuré sur l’avenir prochain. Le règne de l’aristocratie légitimiste et de la bourgeoisie sont finis et ne recommenceront pas. La Démocratie est et restera la maîtresse. La seule question encore à résoudre est de savoir si elle s’organisera en république ou si elle sera ramenée par les nécessités de l’ordre à un système monarchique entouré de formes nouvelles sans aucune analogie avec celles en usage jusqu’à ce jour. Or la monarchie dans une démocratie ne peut appartenir qu’aux Bonaparte, tant qu’ils ne se seront pas suicidés eux-mêmes ou qu’un homme de génie n’aura pas fondé une nouvelle race populaire. Jusque-là, les Bonaparte seuls peuvent arrêter la république et la remplacer. Les hommes de la majorité étant décidés à ne pas appeler tes Bonaparte, quoi qu’ils disent et fassent, ils subiront le radicalisme. Ni la loi contre le suffrage universel, ni la seconde Chambre n’empêcheront rien. Ce sont des digues de paille aussitôt pourries que posées.

En vérité, il me semble que je suis encore autour du petit guéridon chargé de thé et que je cause.


A la Princesse Wittgenstein


Pollone, 24 mai 1873.

Ma chère princesse,

Voyant les événements se dessiner, j’ai voulu assurer la liberté de mes mouvements en achevant mon Eloge de Lamartine. Je m’y suis mis pendant quinze jours sans débrider et ce matin j’ai écrit la dernière ligne. Ce sera seulement l’affaire de trois quarts d’heure (de lecture), mais le tissu est compact. Il me restera à opérer une dernière révision après que j’aurai laissé quelques semaines passer dessus, et alors je n’y penserai plus.

Je pars dans quelques jours pour Turin, où mon père et Daniel vont arriver. Celui-ci a fait sa première communion. Je