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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/129

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ni la mine fleurie de leurs habitants à celle de leurs concitoyens des autres régions. On n’aperçoit chez eux aucune empreinte de la guerre, aucune trace de souffrance. Eh ! bien, que ce contraste persiste et s’accuse de plus en plus sous l’excellente administration de l’occupant. C’est le plus efficace ferment de séparation que nous puissions cultiver.

L’Allemagne sera-t-elle longtemps en République, si impérial que soit le visage que cette République s’est donné ? Là-dessus les opinions diffèrent. Parmi mes interlocuteurs, plusieurs accordaient au gouvernement actuel des chances de durée, s’il se concilie les partis bourgeois, qu’une nouvelle révolution effraierait. L’Allemagne glisserait ainsi peu à peu au régime démocratique et républicain avec des cadres empruntés à la monarchie et il s’installerait insensiblement dans les meubles de la royauté.

Les autres sont d’un avis contraire. On ne change pas, disent-ils, en quelques mois les institutions dans lesquelles une nation aussi moutonnière que la nation allemande a vécu enfermée ni le pli séculaire que son passé lui a imprimé. La monarchie est le régime naturel que regrettent aujourd’hui non seulement la noblesse, les militaires et les classes bourgeoises, mais toute la population paysanne et une partie même de la population ouvrière. On ne veut plus, bien entendu, — en dehors des hobereaux incorrigibles, — d’un régime autocratique soustrait au contrôle d’un Parlement. La monarchie serait donc constitutionnelle et parlementaire. Ajoutez en sa faveur que les excès des spartakistes ont plus fait pour ébranler la République que les manœuvres des réactionnaires. Que représente la monarchie aux regards des Allemands ? L’époque heureuse où l’argent coulait à flots dans l’Empire, où ils avaient en abondance de quoi manger à leur faim, qui est insatiable, du charbon et du travail ; le temps où l’administration, encore que tracassière et inquisitoriale, les mettait à l’abri des grèves, de toute interruption de la vie économique et de toute perturbation de la vie sociale. Et nous ne parlons pas de l’orgueil qui leur gonflait le cœur à se croire le plus puissant peuple du monde. Que représente d’autre part la République ? L’humiliation et l’insécurité du présent avec la crainte d’un lendemain gros de privations et de souffrances. N’allez pas vous imaginer que le Michel allemand fasse peser sur la tête de son Kaiser la