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Il est devenu une nécessité plus douloureuse pour des jeunes femmes dont la vie semblait assurée avec le bonheur, et qui, celui-ci brisé, refont courageusement celle-là. Combien connaissons-nous tous de ces veuves héroïques ! Toutes les classes sociales ont les leurs. Malheurs exceptionnels en temps de paix, et qui suscitaient un concours de bonnes volontés. Elles sont trop aujourd’hui, et l’on ne peut penser à toutes, quelles que soient les œuvres créées à leur intention. Alors chacune pense à soi. Voilà donc l’offre du travail féminin qui, pour certaines carrières, dépasse la demande. Cependant ce qui caractérise le mouvement actuel, c’est que ce ne sont pas seulement les femmes qui réclament du travail, c’est la société qui a besoin du travail des femmes. Elle ne peut plus s’offrir le luxe d’un sexe oisif. Pendant la guerre et, on le prévoit, après la guerre, il y a eu et il y aura un appel de tous les bras et de toutes les intelligences. Nous ne serons pas de trop pour refaire la patrie, qui compte tant de morts et tant de ruines. C’est la fin d’un monde, dit-on. C’est plus simplement, mais plus sûrement, la fin d’une classe sociale et d’un certain genre de vie.

Est-ce aussi la fin d’un sexe, pour employer le mot plaisant dont J.-J. Weiss cinglait nos innocents lycées de jeunes filles ? Non ; la guerre a pu bouleverser le sol et les idées, elle ne supprimera pas un sexe. Un adage anglais dit qu’il y a une seule chose qui soit au-dessus du pouvoir du Parlement : changer une femme en homme. La guerre mondiale elle-même ne l’aura pas pu davantage. Il est imprudent sans doute d’en limiter les effets ; ils ont déjà dépassé toute prévision. Puis, jusqu’à hier, une sorte de vertige nous inclinait à lâcher le gouvernail et à nous laisser entraîner par un courant tel que, de mémoire de navigateur, on n’en avait jamais vu. Nous voyons enfin revenir cependant un régime de paix et, avec lui, une plus grande possession de nous-mêmes et le désir louable d’être pour quelque chose dans les événements par lesquels nous nous laissions emporter. Des façons d’être, de penser et de sentir reparaissent, qu’on retrouve même avec plaisir, comme des amis longtemps perdus de vue. Des effets de la guerre sur le travail féminin quelques-uns subsisteront, qui répondaient à un besoin et à des aspirations antérieures, quelques autres encore auront dû à la guerre d’entrer plus vite qu’ils n’eussent