Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu, soyez notre recours ! Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello ! » Dieu ne les exauçait point, mais le courage n’en était pas diminué. Au contraire. Au point où en était l’enthousiasme, il n’avait plus besoin de consolation. Il se haussait de ses défaites. La rigueur dû Dieu est une approbation, plus que sa clémence. La souffrance est le signe des élus. La Mère Angélique n’avait-elle pas déclaré, à son lit de mort, que plus l’épreuve serait lourde, plus certaines seraient les intentions spéciales et glorieuses du Conseil de Dieu « sur la Maison ? » Et quand la Mère Agnès rappelle cette prophétie de son illustre sœur, on répète le verset d’Isaïe, VIII : « Le Seigneur, me tenant de sa main puissante et m’instruisant lui-même, m’a dit : « Ne parlez point comme les autres, » qui ignorent. En confiance imperturbable , « rendez gloire à la mystérieuse bonté du Dieu des armées, parce que s’il est aujourd’hui votre terreur, » demain il sera votre bénédiction. »

C’était dans cet esprit que les douze déportées de Port-Royal des Champs étaient montées dans les carrosses de M. le Lieutenant Civil. C’était dans cet esprit qu’elles étaient descendues dans leurs « prisons : » dédaigneuses de ces religieuses serviles parmi lesquelles on les voulait noyer pour les corrompre, de ces Visitandines dont la conscience « peu éclairée » s’attachait misérablement en tout temps « aux maximes de l’obéissance aveugle » et qui, maintenant, acceptaient d’être leurs « geôlières. »

Les deux religieuses que l’on chargeait l’abbé Bossuet de réduire n’étaient pas les moins pénétrées de cette intrépide et orgueilleuse fermeté.

Sœur de la grande Angélique, Agnès Arnauld est, depuis la mort de celle-ci, la plus noble personnalité de Port-Royal. Agée de soixante et onze ans, elle est le témoin vénérable des origines, l’oracle autorisé de la pure tradition. Elle a connu et fréquenté M. de Saint-Cyran, peut-être M. d’Ypres lui-même, et aussi les autres grands spirituels militants du temps de Louis XIII, alors que Jansénius et Saint-Cyran n’étaient pas encore des épouvantails d’hérésie : François de Sales, Bérulle, le Père de Condren.

Elle est entrée en religion dans cette époque héroïque où se formait avec précision dans des entretiens communs le dessein des Augustiniens de purifier énergiquement l’Eglise viciée, mais où aussi ce dessein se trempait d’un sentiment mystique