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idée de profiter de leur expérience et d’aimer leur bel héritage, M. André Maurois a compris et il a peint, dans Les silences du colonel Bramble, l’Angleterre, nation la plus fidèle à son passé, la plus attentive à ne gaspiller ni les vertus, ni les méthodes, ni les coutumes dont l’acquisition lui a coûté cher, lui a coûté l’effort de toute son histoire. Sous la forme d’un récit familier, qui s’interrompt, qui recommence, et qui donne à rire, à songer, qui a l’air d’une moquerie amicale et n’en est pas une, et qui est sérieux avec une gaieté exquise, le petit livre des Silences pourrait s’appeler : les Anglais comme ils sont, comme ils se moquent d’être et comme ils savent bien qu’ils auraient tort de ne pas être, pour leur bonheur et pour l’enseignement du genre humain. « Ne trouvez-vous pas, dit à un Français le major Parker, que l’intelligence soit estimée chez vous au-dessus de sa valeur réelle ?... Vous voudriez voir Eton respecter les forts en thème ? Nous n’allons pas au collège pour nous instruire, mais pour nous imprégner des préjugés de notre classe, sans lesquels nous serions dangereux et malheureux. Nous sommes stupides... — Quelle coquetterie, major ! dit le Français. — Nous sommes stupides, répéta avec vigueur le major ; c’est une bien grande force. Quand nous nous trouvons en danger, nous ne nous en apercevons pas, parce que nous réfléchissons peu : cela fait que nous restons calmes et que nous en sortons presque toujours à notre honneur. — Toujours ! rectifia le colonel Bramble. » C’était au début de la guerre : le Français, qui avait causé avec le major Parker et le colonel Bramble, ne douta pas que cette guerre ne finît bien.

Ils ne sont ni anges ni bêtes. Il ne faut être ni ange ni bête : lequel serait, en ce bas-monde, le plus imprudent ? Viniès, qui n’est pas sot « se bâtit un univers de petits systèmes rigides et voudrait que la nature se soumît aux lois de M. Viniès ; » il croit aussi que la nature est angélique : et c’est là qu’il se trompe. La sagesse de Bertrand d’Ouville, une sagesse qui n’est point morose, corrige cette erreur effroyable. Dans un roman d’une lecture attrayante, où l’on voit de belles jeunes filles, un tendre amour, un mariage, où l’on va goûter chez M. de Lamartine et chanter la Marseillaise à l’hôtel de ville en février 1848, M. Maurois propose les moralités les plus opportunes. Je ne crois pas que les conteurs aient mieux à faire ; et d’écrire très bien, comme fait M. Maurois.


ANDRÉ BEAUNIER.