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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/233

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y est un rôle plutôt qu’un caractère. Ce qu’il faut ici et ce qui surfit, c’est que tout le pathétique enfermé dans la situation une fois posée en soit dûment extrait. L’auteur du Voile déchiré l’a fait avec une dextérité et une sûreté de main plus grandes que dans aucun de ses ouvrages précédents. L’action est ramassée, le dialogue serré et du ton le plus juste. Ce drame rapide et émouvant a été très applaudi et aura sans doute un -succès durable.

Le Voile déchiré est très bien joué. M. Bernard est excellent de sincérité et d’émotion dans le rôle de Jacques. Mlle Cerny a grande allure dans celui de Micheline, où elle semble, au second acte, une statue de la désolation. Et M. Alexandre, dans le bref entretien de Robert avec Jacques, a bien traduit, par le jeu de sa physionomie, la confusion du traître démasqué.


C’est une erreur d’avoir représenté Intérieur à la Comédie-Française. La pièce de M. Maurice Maeterlinck est connue, et elle est fameuse, depuis longtemps : la valeur n’en est pas en cause, Comme dans l’Intruse et dans les Aveugles, l’auteur a su nous y donner le frisson du mystère qui nous entoure, la peur de l’inconnu où nous errons. Voici un intérieur paisible : la famille est réunie sous la lampe, les parents lisent, les jeunes filles se penchent sur un ouvrage de couture, l’enfant dort. Rien à craindre : les portes sont fermées et les verrous ont été mis. Or sur cette scène doucement lumineuse plane l’ombre d’un malheur qui est déjà un fait accompli. Ni les portes closes, ni les verrous poussés n’arrêtent le malheur. Du dehors un homme qui soit, contemple ces pauvres gens qui ne savent pas ; et parce qu’il sait, la scène lui apparaît tout autre. Tel est pour nous tous le drame de la destinée : nous sommes sans défiance et déjà le malheur est sur nous !

Le cadre de la Comédie-Française est bien large pour une œuvre si mince ; mais surtout une fâcheuse invention de mise en scène a tout gâté. Le théâtre est plongé dans une obscurité complète ; on aperçoit seulement, sur la droite, des fenêtres éclairées. Le vieillard qui sait l’accident, — une fille noyée, — voit à travers les vitres ce qui se passe à l’intérieur. Et nous le voyons aussi, hélas ! Nous voyons les gens qui se lèvent, se rasseoient, changent de place et font les grands bras, tandis que leurs lèvres remuent pour des paroles qui battent l’air et que nous n’entendons pas... La voilà, l’idée fâcheuse : c’est de nous avoir fait assister à cette pantomime. Irrésistiblement l’impression s’impose à nous que nous sommes au cinéma