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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/236

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personne du Président du Conseil l’orateur et le chef du gouvernement : elle a eu sans doute une autre pensée. Elle a jugé qu’au moment où allait entrer en vigueur un traité qui intervient après de si grands événements et qui pendant des années aura un si profond retentissement sur notre histoire, il fallait donner la plus large publicité aux paroles de l’homme qui en est le principal auteur. Le discours de M. Clemenceau, c’est l’examen du traité par celui qui l’a négocié ; c’est l’explication par le gouvernement de son propre ouvrage ; c’est en quelque sorte le guide proposé aux Français pour l’intelligence d’un texte désormais essentiel à leurs destinées. À ce titre, il mériterait d’être étudié de près, et il est très curieux, non pas seulement, par le ton dégagé qui est habituel à l’orateur, même quand il traite des plus hauts et des plus graves sujets, mais par la conception générale, on peut presque dire par la philosophie historique qui l’inspire tout entier.

M. le Président du Conseil désarme par avance les critiques en reconnaissant que le traité est imparfait. D’une manière générale, il est tout près de croire qu’il n’existe pas de traité qui donne entière satisfaction, parce que rien n’est complet ici-bas. Aucun texte ne peut immobiliser la vie et fixer l’histoire, et si l’avenir réclame de notre part beaucoup de vigilance, ce n’est pas le traité qui nous y contraint, ce sont les conditions mêmes de l’existence, qui ordonnent à tout être humain, à toute nation d’être sans cesse en éveil. En outre, M. Clemenceau indique en termes discrets ce dont nous nous doutions bien : nous n’étions pas seuls ; nous avions des alliés ; le traité a été une œuvre faite en collaboration. Il y a des cas où M. Clemenceau avoue qu’il n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait, même en ce qui concerne les réparations et les garanties qui nous sont dues. De cet ensemble de circonstances est sorti un traité qui nous rend l’Alsace-Lorraine et qui nous donne une situation glorieuse dans le monde. Mais il laisse en suspens des questions graves : M. Clemenceau les connaît, et il n’en dissimule rien. Il n’en demeure pas moins, en concluant, résolument optimiste. Ce que le traité ne nous donne pas, M. le Président du Conseil nous engage virilement à le créer nous-mêmes. Nous avons des régions dévastées, mais nous travaillerons. Nous avons une situation financière difficile, mais nous produirons. Nous avons un voisin mal commode et insuffisamment désarmé, mais nous serons forts et nous resterons unis à nos Alliés. La frontière du Rhin ne nous est pas accordée d’une manière durable et permanente : mais, nous dit M. Clemenceau, aucune frontière n’est