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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/296

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mais on le subit comme on subit le bolchévisme dans son ensemble et ses détails ; je m’efforcerai d’en expliquer les raisons, mais il suffit de constater, pour le moment, que nous avons affaire ici non pas à une pression exercée sur le corps électoral, comme cela se passe dans les États de l’Amérique du Sud ou les pays balkaniques, mais à une duperie qui consiste à présenter la bureaucratie bolchéviste sous le déguisement d’élus « des ouvriers, paysans et soldats rouges. « Il y a des « Soviets » partout, au centre et en province, et partout le système est le même. Les bolcheviks n’avoueront jamais l’imposture grossière qui se cache sous le couvert des « Soviets ; » mais tout ce que Lénine dit et écrit pour opposer la dictature du prolétariat à la démocratie équivaut certainement à un aveu indirect. La dictature du prolétariat est, en fait, une dictature personnelle qui n’a rien à voir avec les « ouvriers, paysans et soldats. »

Il n’est pas difficile de prouver que cette conception franchement anti-démocratique n’a été définitivement acceptée par le bolchévisme qu’au moment où il a dû se convaincre que le pouvoir de ses chefs n’avait aucune chance d’être agréé par la démocratie russe organisée. Le « décret » de Lénine inaugurant le bolchévisme et constituant le « Soviet » des commissaires du Peuple énonçait que ce Soviet ne devait fonctionner que jusqu’à la réunion de l’Assemblée Constituante, qui était fixée à fin novembre 1917. Lénine paraissait rester fidèle au programme traditionnel de la social-démocratie. Les bolcheviks obtinrent un assez grand nombre de voix aux élections, mais ils n’eurent pas la majorité. Une question se posait : devait-on se soumettre à la volonté du pays ou dissoudre l’Assemblée Constituante ? Lénine, sans hésiter, choisit la seconde alternative. Le bolchévisme devenait, dès lors, un régime de fonctionnaires nommés par des chefs irresponsables détenant le pouvoir sans titre légal, une oligarchie pure et simple. Dans sa lutte pour le pouvoir, Lénine gagnait une seconde bataille, mais cette fois en acceptant irrévocablement tout ce qu’il y a d’odieux et, à la longue, de souverainement instable dans une dictature personnelle s’appuyant exclusivement sur la force matérielle.

Il importe de se demander qui, en fait, était porté au pouvoir par le pronunciamiento du 25 octobre, et qui gouverna le pays sous l’apparence fallacieuse des « soviets. »