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« Au point où nous en sommes arrivés dans notre bataille, écrit-il à Pershing le 27, nous devons obtenir de grands résultats si toutes les armées alliées frappent sur l’ennemi à coups redoublés par des attaques bien ordonnées. » Il le dit, il le répète à tous. Et il est entendu : dans une instruction aux généraux d’armée, Pétain, démontant avec sa froide sagacité les phases de l’attaque, les incite à oser, à « pousser » : « Dès que commence la poursuite, la vitesse devient le facteur principal du succès et l’idée de la direction doit primer toute autre notion dans l’esprit du chef. L’ennemi étant saisi, il ne faut pas lâcher prise. A ce moment, chaque unité n’a plus à connaître que la direction d’exploitation qui lui a été assignée et sur laquelle il importe de pousser hardiment... »

Il se faut hâter : un monde s’écroule. Depuis le début d’octobre, on ne compte plus les capitulations ; la Bulgarie a cédé devant Franchey d’Esperey ; le 2 novembre, les troupes serbes vont rentrer dans Belgrade, ayant fait 90 000 prisonniers et enlevé 2 000 canons. Le 25 octobre, le général Diaz a déchaîné son armée au delà de la Piave ; il a bousculé les Autrichiens éperdus ; il va occuper Trente et Trieste, et l’Autriche demander grâce ; les hostilités seront suspendues le 9 novembre, mais dès le 31 octobre, tandis qu’il félicite Diaz en termes chaleureux, Foch prévoit comme fait acquis la capitulation autrichienne ; ce jour-là, à Versailles où s’est tenue la réunion du Conseil suprême de la guerre, il a eu à donner son avis sur les clauses de cette capitulation. La Turquie, à son tour, battue en Asie, isolée de ses Allies, a demandé l’aman.

L’Allemagne reste donc sans appuis. Battue en France, elle devient de toutes parts vulnérable. Le 2 novembre, et sans attendre que l’Autriche ait signé l’armistice qui va ouvrir aux troupes alliées d’Orient et d’Italie l’ancien Empire des Habsbourg, Foch en est déjà à examiner avec les représentants militaires des Alliés un plan d’action éventuel contre la Bavière à travers le territoire austro-hongrois. Le 3, le plan est arrêté, soumis à la décision du Conseil suprême. Le détail en intéressera la postérité. Mais le grand chef ne saurait s’y arrêter longtemps. C’est l’œuvre du lendemain et son esprit, s’il s’élargit quand il le faut aux plus larges conceptions, est trop foncièrement réaliste, pour qu’un instant, il perde de vue le vrai champ de bataille où l’Allemagne perd la partie.