Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le prince royal ; elle se rendrait aussitôt aux eaux des Pyrénées, en compagnie du Dauphin qui passerait pour être son enfant et franchirait avec lui la frontière d’Espagne : on fixa le jour du départ ; la Reine devait amener elle-même à Mérantais l’héritier du trône et pénétrer dans le parc par une porte, nommée porte de Marmusson, qui ouvrait au loin sur la campagne. Tout était préparé pour la réussite de l’entreprise : au dernier moment, la Reine manqua de courage. Rien de tout cela ne vaut d’être commenté ; mais il n’est pas inutile de recueillir ces racontages répandus dès l’aube de la Révolution et où se trouve peut-être l’origine de tant et tant d’autres bourdes plus grossières encore dont s’obscurcira durant plus d’un siècle la légende du malheureux enfant dont on a essayé, en vain jusqu’à présent, d’élucider la ténébreuse histoire.

Bourrelée de ces commérages alarmants, la Commune n’était point rassurée par les premiers rapports de ses délégués au Temple ; aussi rendait-elle arrêtés sur arrêtés, s’évertuant à couvrir sa responsabilité en cas que ses prisonniers vinssent à lui être soustraits. Dès le 13, elle a décidé que toutes les personnes de service auprès du Roi et de sa famille seront renvoyées et que les détenus ne seront plus entourés que de serviteurs choisis par le maire et le procureur de la Commune. L’ordre en est signifié aux prisonniers, le lendemain, pendant leur dîner. Le Roi s’emporte, protestant que si l’on persiste à le priver des seuls amis qui lui restent, sa famille et lui se serviront eux-mêmes. Les municipaux se retirèrent sans insister. Le même jour, la Commune arrête que le concierge du Temple, Jubaud, est destitué ; que les citoyens devant former la garde de la Tour « seront choisis par les sections, qui s’assureront de leur civisme ; » que ceux de ses membres quotidiennement désignés pour aller au Temple « rendront un compte quotidien de leur mission ; » que deux de ces commissaires « s’attacheront spécialement à la personne de Louis XVI et ne communiqueront avec nul autre qu’avec lui ; » qu’il sera formé dans le Temple « un comité pour surveiller tout ce qui se passera et décider dans les cas qui pourront se présenter. »

Dans la nuit du 19 au 20 août, le Roi était couché ; Hue et Chamilly venaient de s’étendre côte à côte sur le matelas qui leur servait de lit commun, quand la porte de leur étroite cellule s’ouvre ; une voix interroge : « Êtes-vous les valets de