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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/560

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empoisonnés à ses festins ; il se serait entouré de savants et d’artistes et d’un luxe d’édifices, de somptueuses étoffes et de hallebardiers chamarrés. Il eût surtout possédé ce fin et sûr goût artistique auquel il n’a pu que prétendre. Venu dans le monde quatre siècles trop tard, le Roi des Bulgares s’est borné à faire des rêves de grandeur, à se costumer en Basileus Byzantin et à se faire portraicturer dans cette tenue par des peintres de troisième ordre ; au lieu de construire des palais, il s’est contenté de planter des jardins botaniques, car, loin de s’enrichir à son métier de souverain, il s’est au contraire ruiné en cadeaux, en dotations et en secours destinés à lui acheter des partisans. Ne pouvant exterminer ses ennemis par le poison ou le fer, Ferdinand a tâché de les user les uns par les autres. Mais, tout comme ses prototypes médiévaux, il maniait admirablement l’arme de l’intrigue politique et s’y adonnait de préférence à toute autre occupation et à tout autre souci, en faisant preuve d’ailleurs de plus d’élasticité que de suite, et de plus d’audace dans la conception de ses desseins que de résolution dans leur accomplissement.

A ce portrait que je fais du roi des Bulgares on ne m’accusera pas d’avoir pour lui aucune indulgence. Et cependant, en jugeant de ce caractère compliqué et de ce personnage si généralement réprouvé, je suis prêt à plaider des circonstances atténuantes.

Et, tout d’abord, l’exercice de la souveraineté dans un pays balkanique ne rentre pas dans la catégorie des métiers qui ennoblissent le caractère de ceux qui le pratiquent. D’autant plus doit-on l’admettre quand il s’agit de la Bulgarie et des Bulgares, ce peuple déjà une fois maudit par l’histoire, — car c’est lui qui appela les Turcs en Europe, — et qui, subissant pendant cinq siècles un joug particulièrement cruel et privé de tout vestige d’autonomie nationale, fut endurci et dévoyé plus qu’aucune autre nation du proche Orient.

En somme, pendant trente ans, Ferdinand et les Bulgares se sont corrompus réciproquement.

Il convient ensuite de mettre à l’actif du Roi des Bulgares le fait que dans toute son existence de Prince, il a vécu uniquement de la vie politique de son peuple, ne se passionnant que pour l’élévation de la Bulgarie, y travaillant à toute heure et en toute occasion. Cela lui constituait une force incontestable