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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/573

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Sa Majesté l’Empereur, on avait promis de protéger la Bulgarie contre trop d’humiliation et d’abaissement ? Cette fois, le coup était bien porté et il m’était impossible de le parer par des explications vraiment plausibles. Mais étant à mon tour « glouboko vosmouchten » par le ton si parfaitement inconvenant que le Roi se croyait permis à l’égard du ministre impérial de Russie, je lui répondis : « Sire, les Bulgares se sont eux-mêmes attiré leurs malheurs et ont obligé la Russie à renoncer à toute tentative de leur venir en aide. Et votre Majesté sait mieux que n’importe qui, quand fut porté le coup irrémédiable aux intérêts de la Bulgarie : c’était le 16/29 juin dernier. Votre Majesté sait, aussi bien que moi, que je n’ai été pour rien dans cette journée de malheur, dont j’ai été la première dupe. » Ferdinand me lança son plus mauvais regard, mais se contint et, après un court silence et sans lever les yeux, dit : « Oui, cela a été une grande faute. » Puis, il se leva et prit congé de moi. Je ne l’ai pas revu depuis.

Du cabinet de travail du Roi, je fus conduit dans les appartements de la reine Eléonore. Là, m’attendait un accueil d’un tout autre genre, quoique non moins original. La Reine, à peine les saluts d’usage échangés, me posa à brûle-pourpoint la question : « Dites-moi, monsieur le ministre, comment tout cela a pu arriver ? » Je répondis très franchement à Sa Majesté que je me permettais de considérer, comme une des raisons de la catastrophe politique de la Bulgarie, l’absence de confiance du Roi à mon égard. Dans toutes nos conversations, dans tous les conseils que je croyais devoir lui adresser, je ne me laissais guider que par le bien réel de la Bulgarie. Dès mon arrivée à Sofia, j’avais toujours et carrément refusé d’agir contre le Roi ; et pendant ce même temps, Sa Majesté travaillait derrière mon dos et souvent contre moi personnellement... — « Mais en qui donc a-t-il jamais eu confiance ? s’écria la Reine. Il se défie même de moi ! » Je ne me souviens plus de ce que je répondis à la Reine, mais involontairement, j’élevai un peu la voix... « Chut ! au nom du ciel, parlez plus bas, » interrompit la pauvre Reine, en jetant un regard furtif vers l’une des portes du salon ; c’est la chambre la plus dangereuse du palais !... »

Eléonore me fit ensuite ses doléances sur la conduite des Roumains dans les environs de Varna, cette ville qui lui était particulièrement chère. « Cela m’est particulièrement pénible