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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/588

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dignité patriotique. » La révolte, n’était-ce pas plutôt le pouvoir occupant qui risquait de la soulever par ses irruptions nocturnes dans les presbytères ? Le cardinal pressait von Bissing ; d’interpellé, il se faisait interpellateur : — Voulez-vous m’empêcher d’agir par la voie de la persuasion, et agir vous-même par la voie de l’intimidation ? Alors, « je ne puis plus répondre, avec assez d’assurance, de l’ordre général, et, dans ce cas, je n’insisterais pas pour astreindre mon clergé à reprendre, malgré votre interdiction, la lecture de ma pastorale, et à la répandre dans les foyers. » — Quant à l’indiscrète question sur ses relations avec son roi ou les souverains étrangers, il la repoussait d’un mot : « Ce sont là des actes de ma vie privée. »

Chaque fois que le clergé belge sera accusé de troubler l’ordre public en fortifiant le patriotisme des fidèles, son primat maintiendra que le moyen de les aider à supporter leurs souffrances sans révolte est de montrer qu’on les comprend. Mais cette nuance échappera toujours à von Bissing : dans les satisfactions données par la prédication chrétienne aux tressaillements du for intérieur, il ne cessera jamais de voir des menaces pour l’ordre extérieur.

Une fois en possession de la réponse cardinalice, il la tortura, la déforma. Le 7 janvier, dans une circulaire, il essaya d’insinuer aux prêtres que leur chef spirituel l’avait laissé libre, lui pouvoir occupant, d’apprécier si la pastorale pouvait exciter les esprits, et qu’en cas d’ « appréhensions » de sa part, l’auteur de la pastorale n’insistait pas pour la diffusion. Les prêtres flairèrent l’astuce allemande : Mgr Evrard, doyen de Sainte-Gudule, vint s’éclairer à Malines. Le cardinal lui dicta :


Ni verbalement ni par écrit, je n’ai rien retiré et ne retire rien de mes instructions antérieures, et je proteste contre la violence qui est faite à la liberté de mon ministère pastoral. On a tout fait pour me faire signer des atténuations à ma lettre ; je n’ai pas signé. Maintenant, on cherche à séparer mon clergé de moi en l’empêchant de lire. J’ai fait mon devoir ; mon clergé doit savoir s’il va faire le sien.


Le dimanche 10 janvier, tout le clergé fit son devoir : la pastorale fut lue. Le cardinal demeurait invaincu, avec ses prêtres derrière lui. Trois fois de suite, en janvier et février 1915, il remémorait à von Bissing les forfaits du premier