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avouez-le, de vous comparer à un gouvernement national. »

Von der Lancken, continuant de lire, observait qu’en discutant naguère avec certains hommes politiques belges qui ne voulaient pas prononcer le nom de Dieu, le cardinal leur avait montré l’Allemagne, les États-Unis, « proclamant officiellement les droits souverains de Dieu sur l’humanité. » Et le cardinal de répondre :


J’ai dit cela, et je le redirai encore. Mais si nos hommes publics ont quelquefois péché par défaut, d’autres peuvent pécher par excès. Il ne suffit pas, dit l’Évangile, de crier : Seigneur, Seigneur, pour entrer dans le royaume des cieux. La religion devient de la superstition, quand elle ne pénètre pas la conscience morale, et la morale manque, au moins partiellement, son but, quand elle n’étend pas son empire sur toutes les démarches, autant sociales qu’individuelles, de la personnalité humaine.


Après la philosophie de Kant, le cardinal visait la superstition du vieux Dieu allemand ; et parmi les adorateurs qui « péchaient par excès, » von der Lancken, soyons-en sûrs, dut reconnaître son Empereur. Ses questions au cardinal rappelaient, à certains moments, celles dont les docteurs de la Loi pressaient le Christ : il était savant comme eux, astucieux comme eux, et, comme eux, il allait de lui-même au-devant de la confusion. Il connut encore cette mésaventure, le jour où il insinua que saint Thomas, justifiant le droit de légitime défense, pouvait être allégué, peut-être, en faveur de l’Allemagne de 1914. Le cardinal eut tôt fait de lui révéler l’authentique saint Thomas, lequel n’était ni pacifiste ni militariste :


Le pacifisme qui consisterait à supprimer les armées et à préconiser la paix à tout prix, la paix pour la paix, la paix quand même, vouerait à la même indifférence, au même abandon, le droit et la violation du droit, la justice et l’injustice : il serait à la fois une erreur sociale et une lâcheté. Mais le militarisme qui veut l’armée pour elle-même et ne la subordonne pas essentiellement à la sauvegarde et à la défense du droit, de l’ordre, de la paix ; qui salue dans le déchaînement de la force militaire une exaltation de la puissance nationale, trouvant en elle-même sa justification, le militarisme ainsi compris est une autre aberration sociale, l’identification de l’honneur avec l’orgueil.


Et le cardinal établissait que le prétendu droit de défense