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Belges. Par intérêt pour les ouvriers qui chômaient, par intérêt pour l’industrie belge, qui plus tard aurait besoin que les ouvriers n’eussent pas désappris la technique de leur métier, par intérêt pour les finances belges, que les secours de chômage obéraient » von Bissing commençait à dépeupler la Belgique. Le cardinal se révolta, et tous les évêques avec lui, contre ces abominations, et contre l’hypocrite sollicitude dont elles se masquaient : ils arrachèrent le masque, et protestèrent, le 7 novembre 1916, que ce « rétablissement de l’esclavage » n’avait d’autre but que de « permettre à des ouvriers allemands, en les remplaçant par des Belges, de remplir les vides de l’armée allemande. » Léon XIII, autrefois, avait dit au cardinal Lavigerie, lorsqu’il luttait contre l’esclavage africain : « L’opinion est plus que jamais la reine du monde ; c’est sur elle qu’il faut agir. » Le métropolitain de Malines et ses suffragants invoquaient ce souvenir : ils appelaient « quiconque avait une autorité, une parole, une plume, à se rallier autour de l’humble drapeau belge pour l’abolition de l’esclavage européen. » En face du pangermanisme qui avait voulu dominer l’univers, une voix de prêtre, à Malines, voulait soulever l’univers contre l’Allemagne.

Les familles belges tremblaient : des pères de famille, des jeunes gens, presque des enfants, arbitrairement ramassés, étaient exportés comme du bétail. L’arbitraire même avec lequel procédaient les recruteurs de « matériel humain » visait à créer le silence : protester en faveur du voisin, c’était en quelque mesure appeler l’attention sur soi-même. Le cardinal insistait auprès de von Bissing pour qu’on laissât au moins les prêtres dans chaque commune élever la voix contre certaines déportations particulièrement inhumaines. Le gouverneur n’y consentit pas, non plus qu’à laisser le cardinal porter lui-même une parole de réconfort aux malheureux qu’on déracinait.

Vous violez la convention de La Haye, criait-il à von Bissing. Il lui montrait l’Allemagne contraignant l’ouvrier belge à coopérer, d’une façon indirecte, à la guerre contre son pays ; l’Allemagne l’acculant, par la confiscation de toutes les machines, à travailler pour elle ou à chômer : l’Allemagne, par le savant mécanisme de ces organes de ravitaillement qu’elle nommait les Centrales, absorbant à son profit une part considérable des produits de l’agriculture et de l’industrie belges, et