Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec la classe ouvrière leur coûta, à chacun, cent marks d’amende. Le cardinal, à qui von Huene, gouverneur intérimaire, déférait leur conduite, lui répliqua :


Que tous les bénéficiaires futurs d’une carte estampillée n’aient point, sous l’appât, deviné l’hameçon, on le conçoit ; que des hommes du monde, chargés d’intérêts de famille, aient moins mûrement mesuré leur sentiment de solidarité nationale, on ne leur en fera pas un grief ; mais le prêtre, pour qui les intérêts temporels ne comptent pas en présence de ceux de l’éternité ; le prêtre, qui, prédicateur de l’Évangile et représentant officiel du droit chrétien, rougirait de ne pas conformer à ses plus hauts enseignements sa conduite personnelle ; le piètre, protecteur des plus faibles, a de ses obligations morales Une vue plus pénétrante et peut juger qu’il resterait au-dessous de sa tâche, s’il ne poussait le dévouement fraternel au delà des strictes exigences de la loi commune…

Pour n’avoir pas voulu bénéficier d’un privilège que leur conscience leur interdit d’accepter, ces prêtres paieront 100 marks sur leur modeste traitement, ou, s’ils n’ont pas le moyen de s’en acquitter, ils paieront peut-être de leur liberté leur impuissance à vous satisfaire. Ils patienteront quand même. Ils boiront, jusqu’à la lie, le calice d’amertume que vous portez de force aux lèvres d’un peuple qui ne vous a jamais voulu que du bien.

Nous attendons, dans la patience, notre revanche.

Je ne parle pas de notre revanche terrestre : nous l’avons déjà, car le régime d’occupation que vous nous faites subir est bonni par tout ce qu’il y a d’honnête dans le monde entier. Je parle du jugement de l’histoire ; je parle du jugement inéluctable du Dieu de justice.


Mais le cardinal, prenant directement à partie von Huene, qui appartenait à des milieux catholiques, voulait l’interpeller d’homme à homme, de prêtre à fidèle :


À vous qui êtes, si je suis bien renseigné, à l’égal du plus humble de nos ouvriers, fils de l’Église du Christ, j’ose ajouter que vous vous chargez la conscience d’un lourd verdict, en couvrant de votre haute autorité une justice militaire qui assimile à un délit un acte d’abnégation chrétienne et pastorale.


Au nom même de son magistère sacerdotal, le cardinal semblait ainsi dire à von Huene : prenez garde ! Puis, faisant escorter sa signature par celles d’un certain nombre de notabilités belges, il osait, le 14 février 1917, mettre aux prises avec l’Evangile la responsabilité souveraine de Guillaume II. Il écrivait à l’Empereur :