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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/655

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de la patrie, hymne qui contient ce splendide fragment épique : le dénombrement de tous ceux qui, en tous les temps et sous tous les costumes, se sont battus et sont morts pour la France. Encore doit-on rappeler qu’il faut un peu de temps et quelque recul, pour que se dégage la somme de poésie enclose dans les plus grands drames de l’histoire. Rostand n’a pu que jeter, au milieu même des événements, un premier cri de souffrance, de haine et d’espérance.

C’est d’une autre manière encore que son nom s’insérera dans le souvenir de la guerre de 1914. Dans un livre excellent sur le Théâtre de Rostand, un jeune écrivain, M. Jean Suberville, a écrit : « Les Saint-Cyriens qui partaient au feu avec la plume à leur casoar, réalisaient devant la mort le héros que le poète avait rêvé. Telle division s’appelait la division Cyrano ; tel corps d’armée avait pour insigne le coq Chantecler. L’immortel Cadet de Gascogne réapparaissait inlassablement sur le théâtre du front... Rostand a été aimé par les poilus de 1914. » On peut le dire en toute sûreté de conscience : c’est l’hommage dont il eût été le plus fier.

Le même écrivain constate : « A vrai dire, le solitaire de Cambo n’a pas créé d’école littéraire ; il vivait en marge, trop indépendant et trop désintéressé. Voilà pourquoi sa mort a suscité plus d’émotion dans la foule que dans les cénacles ; voilà pourquoi le grand public n’a pas trouvé dans les revues littéraires un digne écho du regret général, ni une louange égale à l’admiration de la France entière. Sa véritable influence apparaît dans l’âme de la jeunesse française. » Et cela vaut mieux ainsi.

Il est exact que, depuis la mort de Rostand, on a peu écrit sur lui, et qu’il s’en est trouvé quelques-uns, hélas ! pour le dénigrer sottement. Mais il faut avouer que depuis ce début de décembre 1918, trop de soucis nous ont détournés de la pure littérature. L’œuvre de Rostand a pour elle tout l’avenir. Parmi les exégèses qu’on lui consacrera, il en est une que nous appelons de tous nos vœux. Un fin lettré, M. Louis Labat, a été, pendant vingt ans, pour Edmond Rostand, l’ami de tous les jours, le confident de toutes les pensées. En revivant pour nous les entretiens du poète, en nous initiant à ses projets comme à ses procédés de travail, il élèverait à la chère et grande mémoire un monument qu’attendent de lui et que lui demandent tous les amis et tous les admirateurs de Rostand.