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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/66

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Ce moment était véritablement critique pour l’Empire russe, incomplètement remis des secousses que lui avaient causées la guerre japonaise et le mouvement révolutionnaire. Pour moi, en ma qualité de ministre des Affaires étrangères, j’étais appelé à prendre nettement position à l’égard de la politique que le gouvernement russe entendait suivre sur le terrain international.

La situation de la Russie en Europe était déterminée par le fait que, depuis plus de quinze ans, elle était liée, par un traité formel d’alliance, à la France. L’empereur Nicolas avait, il est vrai, momentanément cédé aux efforts insidieux faits par Guillaume II pour engager la Russie dans un système politique de nature sinon à la détacher complètement de la France, du moins à la placer dans une situation infiniment plus compliquée et incertaine. L’erreur de l’empereur Nicolas n’avait été que passagère ; son sentiment d’honneur et son bon sens l’avaient empêché d’y persister, et il avait réussi, avec l’aide du comte Lamsdorff, à se dégager du piège qui lui avait été tendu. L’alliance avec la France était intacte ; mais, pendant les deux années qui venaient de s’écouler, de grands changements étaient survenus dans la politique européenne. La France et l’Angleterre avaient renoncé à leurs vieilles querelles et une ère de confiance mutuelle et d’amitié avait été inaugurée entre ces deux Puissances. La Russie avait déjà bénéficié d’une manière appréciable de cette entente pendant la guerre avec le Japon ; mais pour qu’elle pût en retirer des avantages permanents et "complets, il était clair qu’elle devait elle-même se rapprocher de l’Angleterre. Un rapprochement avec l’Angleterre seule ne suffisait pas ; il devait avoir pour corollaire une réconciliation sincère avec le Japon. En adoptant une pareille politique, non seulement la Russie fortifierait sa situation en tant qu’alliée de la France, mais elle donnerait une base nouvelle et plus solide à tout l’édifice de la Double-Alliance. Si, au contraire, la Russie négligeait de tirer les conséquences logiques de la nouvelle situation internationale et restait dans des relations tendues avec l’Angleterre et le Japon, tôt ou tard elle se trouverait dans une position difficile entre son alliée, la France, et ces deux Puissances ; l’Allemagne saisirait aussitôt cette occasion pour renouveler ses efforts en vue de la détacher de la France et de diriger