Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/690

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les détails, un infanticide, un suicide, enfin le trantran, pour ainsi parler, de la vie naturaliste.

Et l’on voit très bien ce que Jules Renard ne devait pas aimer dans le symbolisme : le galimatias et l’obscurité. Il termine son portrait du symboliste par ces mots, « ne pas écrire en français » : voilà le péché qu’il n’a point commis et qu’il aurait eu honte de commettre. On sait, je le disais, qu’il travaillait constamment ; il ne laisse qu’un petit nombre de volumes : il travaillait à bien écrire, et suivant la leçon des maîtres incontestés, nos écrivains classiques. Ceux-ci enseignent la clarté : il l’a voulue, et toujours obtenue, difficilement s’il n’avait point à exprimer une idée très simple ; mais il eût renoncé à son idée plutôt que de la rendre mal. Comme un de ses livres allait paraître, — et c’était son chef-d’œuvre, le Vigneron dans sa vigne, — il ne comptait pas sur des milliers de lecteurs : cinq à six cents, peut-être mille, tout au plus. Il écrivait à un ami : « Mieux vaut rester entre intimes. Notez que je n’ai pas la prétention d’être incompréhensible. Fichtre non ! Je serais navré d’être obscur. Mais je ne suis clair que pour quelques-uns. » Cela, il le constate, sans orgueil et avec regret : s’il s’en console, c’est à se dire, et justement, que la faute n’est pas la sienne. L’obscurité des symbolistes a une excuse quelquefois : ces poètes avaient un idéal compliqué ; ce qu’ils tâchaient de dire était, par un malheur, ce que les mots n’ont point accoutumé de dire. Mais trop souvent ils prenaient leur parti de cette obscurité avec un entrain fâcheux ; ils n’évitaient pas tous également d’habiller de mystère le néant. Jules Renard n’est pas, dans les Cloportes, et n’a jamais été un symboliste.

Cependant, il a subi un peu l’influence de ce qui, dans le symbolisme, était recommandable, était une intelligente notion de l’art. C’est par le symbolisme ou, plus exactement, c’est par le moyen de clairs symboles, qu’il se passe des procédés naturalistes. L’on ne saurait copier avec minutie la réalité : elle échappe à notre enquête. Il ne faut pas la copier, mais la représenter : et des symboles remplacent l’impossible copie. Dans la cuisine des Cloportes, il y a une vieille horloge peinte en rouge qui laisse « voir derrière son verre sans tache, le va-et-vient de son balancier de cuivre, ses plombs, ses chaînes, tout l’intérieur de son ventre ». Ce dernier mot donne à imaginer la forme de cette machine et rend cette machine vivante. Il y a, dans la salle à manger des Cloportes, un poêle dont le tuyau passe par-dessus la tête des gens qui se chauffent, « comme un grand bras étendu ». Dans une allée de la forêt, les branches « se