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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/703

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sonore un chef-d’œuvre musical, qui charme l’oreille et même qui touche le cœur.

Le répertoire de l’Isba comprend des œuvres très diverses de sentiment et d’origine, presque toutes nationales, à l’exception de quelques mélodies tziganes ; religieuses, rustiques ou pittoresques ; les unes signées de noms connus, célèbres même ; les autres, anonymes, dont le peuple est l’auteur. Deux hymnes de Bartniansky (XVIIIe siècle) sont d’admirables pièces liturgiques. Elles ne seraient peut-être pas tout à fait indignes de remplacer dans nos églises, fût-ce un jour de mariage, la méditation de Thaïs, ou le « Clair de lune » de Werther, ou bien encore certain Agnus Dei, sur un entracte de l’Arlésienne : « la Cuisine de Castelet. » Nous ignorions tout, — et nous avions grand tort, — d’un Lvovski, d’un Gretchaninoff, d’un Archangelski. Rien de plus émouvant que certain Credo de Gretchaninoff, chanté par les chœurs, et que soutient, en pédale grave, une psalmodie de contralto. Psalmodique également, un Kyrie de Lvovski, dont nous avons signalé plus haut, réalisé par une exécution hors ligne, l’accroissement, puis la décroissance sonore. En vérité, quand nous les vîmes, les chanteurs russes, sortir de l’église et cheminer sur la place, toujours mélodieux, il nous souvint des Kalivki Perekhojié, de ces rapsodes errants qui parcourent la Russie, — ou qui la parcouraient, — enchantant les ancêtres, les héros et les saints.

Longtemps, longtemps, ensembles et soli, danses et chants se succédèrent. Le meneur de ces jeux charmants, le chorège, était digne du chœur. D’une voix de baryton, chaude et tendre, devant paysans et seigneurs assemblés dans l’isba, M. Serge Borowski chanta trois morceaux de Moussorgsky : la prière de Khovantchina, puis une chanson de fête, enfin cet humble lied — et si douloureux, — d’un innocent pareil à celui qui, sur la scène, errait, pâle et triste, autour du chanteur :

« Belle Savichna, œil de clair faucon, sois fidèle au fou qui divague un peu et caresse-moi de tes longs regards, ô mon clair faucon...

« Aime-moi, quoique laid, infirme et nu, donne-moi ton cœur, à moi qui vais seul, à moi qui t’aime comme on n’aima jamais, ô ma Savichna. »

Cela se chante très vite et tout d’une haleine, sans un temps, même un demi-temps de silence. Et déjà cette continuité donne une impression de hâte et de fièvre. Le rythme quinaire, en porte à faux, la redouble. On dirait qu’il démanche la mélodie et la détraque. D’une mesure à l’autre, la voix passe de majeur en mineur. Brusquement