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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/805

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s’effectuait tout aussi bourgeoisement ; le local, d’ailleurs, prêtait peu au cérémonial ; quand, vers sept heures, le municipal de garde dans la pièce d’entrée, avait, à l’aide de Tison, replié son lit, il attendait que Marie-Antoinette sortît de la chambre à coucher. Elle ouvrait sa porte vers huit heures et passait chez Madame Elisabeth ; mais, en traversant l’antichambre, elle jetait au surveillant du jour un regard « scrutateur, » cherchant à démêler quels pouvaient être les sentiments et l’éducation du commissaire. La jeune Madame Royale se montrant un instant après sur le seul de la chambre, examinait aussi le nouveau venu ; enfin Madame Elisabeth, également curieuse de connaître l’homme sous la tutelle duquel on allait vivre jusqu’au soir, s’approchait à son tour, posait au délégué de la Commune quelques questions banales, s’informant s’il venait pour la première fois au Temple, quelle section il habitait, quelle était sa profession, s’il avait des enfants… Les trois princesses portaient un déshabillé du matin, pierrot ou peignoir de basin blanc, petit bonnet de linon ou mouchoir noué en charlotte sur les cheveux. Un peu avant neuf heures, elles reparaissaient vêtues de la robe de jour, robe très simple, de mousseline blanche ou d’une étoffe foncée à petites fleurs. La femme Tison, obséquieuse et sournoise, les aidait dans leur toilette ; Tison, toujours sombre et acrimonieux, préparait dans l’antichambre le couvert du déjeuner. C’était l’heure où les monteurs de bois, Hesse et Petit-Ruffion, garnissaient le bûcher, où le porteur d’eau remplissait les brocs et les fontaines, où le lampiste nettoyait les quinquets et les réverbères : grand branle-bas de tout le personnel, dont le mouvement, accompagné du bruit des grosses serrures et du battement métallique des lourdes portes, emplissait de tumulte la spirale sonore de l’escalier.

À neuf heures, le Roi et le Dauphin, escortés de leur municipal, montaient au troisième étage pour déjeuner avec les princesses. Les trois garçons servants, Turgy, Marchand et Chrétien, accompagnés par les commissaires qui avaient passé la nuit au rez-de-chaussée de la Tour, apportaient des cuisines lointaines le repas et disposaient sur la table du café, du chocolat, une jatte de crème double chaude, une autre de lait chaud, une carafe de sirop froid, une autre de lait froid, une d’eau d’orge et une de limonade, trois pains de beurre, une assiette de fruits, six pains à café, trois pains de table, un sucrier de