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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/856

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leur énergie dans la répression, le contraste avec les bandes maîtresses de la ville depuis le 9 novembre, ramenèrent la confiance, réveillèrent l’orgueil assoupi. Il y avait donc encore une armée ! Les officiers pouvaient donc reparaître en tenue dans les rues sans être molestés ! On voyait même des soldats les saluer. Mais alors, tout n’était donc pas perdu. L’Allemagne vivait encore. Les caractères se redressaient ; on ne demandait plus l’arrivée des Alliés. On se rebiffait contre leurs exigences. Le ton de la presse devenait plus crâne. Le journal conservateur, Deutsche Zeitung, ouvrait des listes d’inscription pour une adresse à l’Empereur à l’occasion de son anniversaire prochain. L’effigie de l’Empereur était maintenue partout. Les Conseils de soldats des vieilles provinces de Prusse continuaient à délibérer, sous l’effigie du Kronprinz.

Le plus caractéristique était l’attitude du Ministre des Affaires étrangères. Il inaugurait ces notes au ton insolent à l’égard de l’Entente qu’elle devait lui tolérer plusieurs mois, tantôt à propos de l’Alsace-Lorraine, tantôt à propos de la Pologne. On en était revenu au bon temps de l’arrogance d’avant la guerre, aux coups de poing sur la table. La patience de l’adversaire passait pour de la faiblesse.

Les troupes qui revenaient du front étaient reçues en triomphatrices. Arcs de triomphe, rues jonchées de fleurs, discours de réception officiels à la porte de Brandebourg où on leur répétait sur tous les tons qu’ils n’avaient jamais été vaincus, — alors qu’en France, de spirituels écrivains se gaussaient de ceux qui mettaient leurs compatriotes en garde contre ce réveil allemand et les traitaient de pessimistes, de sceptiques, de monomanes, et même d’absurdes criminels. Que n’étaient-ils à Berlin ? L’Allemagne vaincue ! Allons donc ! Elle n’avait jamais eu d’autre idéal que les quatorze points, et du jour où ses adversaires les acceptaient, elle aurait eu mauvaise grâce à ne pas leur offrir la paix. Est-ce que les notes du comte Brockdorff-Rantzau étaient des paroles de vaincu ?

Et ce n’était pas seulement l’opinion de quelques journalistes, d’un paquet de pangermanistes impénitents, c’était la voix intime du peuple, que l’on entendait dans la rue, dans le wagon, à la brasserie. L’Allemand ne se croyait pas vaincu, ou ne voulait pas le croire, ce qui est la même chose. Et il le répétait partout, à ses soldats, à ses enfants. Et ce devait être