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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/905

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Heureusement Saskia avait pris ses dispositions. Par un testament secret du 5 juin, elle avait mis son cher mari à l’abri de ces inquiétudes. Elle lui léguait tous ses biens en le dispensant expressément du contrôle odieux de sa famille courroucée.

La légende de la Ronde de Nuit avait donc confondu le drame intime qui allait jeter Rembrandt dans un autre milieu, avec l’échec de ce grand tableau qui reçut un accueil enthousiaste. Samuel van Hoogstraten, son nouvel élève mennonite qui l’avait mis en rapport avec Renier Ansloo, en parle à trente ans de distance comme de l’une des œuvres capitales de la peinture. « Elle est si pittoresque de pensée, dit-il, si élégante d’agencement, si puissante d’effet, qu’auprès d’elle, selon l’opinion de beaucoup d’artistes, toutes les autres toiles paraissent des figures de cartes à jouer. Cependant j’aurais bien désiré qu’il y eût mis plus de lumière. » Est-ce là l’indice d’un échec, malgré la restriction finale qui marque surtout l’évolution de cet élève vers la peinture qu’il pratiqua ?

Seule, la date de ce tableau marque une évolution morale de l’artiste que la mort de Saskia allait précipiter, en lui créant des amitiés nouvelles.

À cette heure douloureuse, le pasteur Renier Ansloo semble avoir, seul, trouvé le chemin de cette âme ardente et blessée en l’entrainant vers une autre passion, celle de la recherche de la vérité sociale par les lectures du texte de la Bible, dans ce milieu des Mennonites, pour lequel il rompit toute attache avec ses habitudes d’autrefois. C’est la grande évolution de sa vie ; elle n’a aucun rapport avec l’échec imaginaire du double portrait de Franz Banning Cocq et de son lieutenant, qui n’a plus rien de mystérieux que les secrets de sa technique.


IV

Jérémias de Decker avait insisté, en 1666, sur la renommée de Rembrandt à l’étranger ; mais comme sa pièce de vers, bien connue, était un remerciement à l’artiste pour son portrait gracieusement offert, on pouvait soupçonner le poète d’exagération dithyrambique dans ces passages pourtant fort nets :

« Je ne reproduirai pas tes traits, Rembrandt, — mais ton