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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/148

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romain. Un livre paru récemment, œuvre de M. Lesquier[1], ancien membre de notre vaillante école française, du Caire, nous en fournit la preuve.


L’Egypte a exercé une influence puissante sur les destinées de l’Etat romain, non point seulement dans le domaine de la politique et de l’administration, mais aussi dans le domaine économique. Rome et l’Italie ont vécu en grande partie, aux trois premiers siècles de notre ère, de l’Egypte et par l’Egypte. La fertilité du sol y était proverbiale dans l’antiquité. Grâce aux inondations du Nil, souci constant des pharaons, qui était resté celui des empereurs romains, qui demeure celui de ses maîtres actuels, la terre se renouvelle chaque année ; les débordements périodiques dispensent les cultivateurs des jachères et de l’engrais ; ils les dispensent aussi des labours profonds ; le blé rend au centuple et la consommation locale reste infime en comparaison de la récolte. Rome profitait largement de ce surplus : on a calculé que l’Egypte lui fournissait annuellement 20 000 000 de boisseaux, quelque chose comme 1 750 000 hectolitres, c’est-à-dire à peu près le tiers de ce qui était nécessaire pour le commerce et les distributions à bas prix qu’il était devenu de règle d’octroyer au peuple ; le reste provenait de l’Afrique (Algérie, Tunisie, Maroc) et de la Sicile. La flotte qui, chaque printemps, au moment où la navigation reprenait en Méditerranée, apportait le grain en Italie, y était attendue avec une impatience extrême ; sur la jetée de Pouzzoles, le port principal de la côte, avant l’aménagement de celui d’Ostie, on guettait à l’horizon, sur la droite de Capri, l’apparition des navires qui devançaient le gros du convoi venant d’Alexandrie pour en annoncer l’arrivée ; le peuple accourait en foule sur le môle et saluait de cris de joie la vue des premières voiles ; il savait bien qu’elles lui apportaient l’abondance. Aussi, lorsque quelque prétendant voulait s’assurer l’empire aux dépens du prince régnant, son premier effort tendait à s’emparer de l’Egypte et à arrêter le départ du blé : il espérait que l’Italie se soumettrait devant la menace du blocus.

  1. Jean Lesquier, L’Armée romaine d’Egypte d’Auguste à Dioclétien (Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire, t. XLI).