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A l’endroit où les champs se mêlent aux feuillages,
Etrangère au délire où vous vous attardez,
La nuit, avec des eaux, des brises, des nuages,
Compose une féerie intime… Regardez :

La lune vers le lac laisse avec indolence
Pendre un voile brumeux qui s’accroche aux roseaux,
Et son rayonnement tire du bleu silence
Une vague harmonie éparse sur les eaux.

Un chemin où poudroie une impalpable cendre
Unit le firmament au sol mystérieux ;
Les astres confiants semblent prêts à descendre
Pour nous balbutier tous les secrets des cieux.

Des fantômes laiteux glissent entre les saules ;
Sur l’onde, qu’un brouillard, par instants, vient ternir
On croit voir des fronts las fléchir vers des épaules,
Des bras confus se tendre, et des lèvres s’unir.

D’innombrables soupirs confondant leurs haleines
Sortent du sein profond de la terre et des airs,
Mêlant tout ce qui vit dans les bois et les plaines
Aux vivantes lueurs des plus lointains éthers…

Livrez-moi votre main, et souffrez, taciturne,
Que, sans parler moi-même, et pâle à vos côtés,
Je vous guide parmi l’enchantement nocturne,
Vers qui vos troubles yeux oscillent, aimantés.

Jusqu’aux bords lumineux du lac où le ciel neige,
Nous irons en frôlant de fugaces contours ;
Nous plongerons ensemble au fond du sortilège…
Soudain nous oublierons et nos noms et nos jours…

Nous connaîtrons enfin nos âmes dévoilées
Sous la lueur féerique accrochée aux roseaux,
Et nos soupirs dans l’ombre, et nos ombres mêlées
Ne dérangeront pas la lune sur les eaux.