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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/579

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précisément férus. « La passion de tout savoir le faisait chercher, dit Ozanam, jusqu’aux dogmes des Tartares et des Sarrazins. » L’Islam espagnol était saturé d’idées et d’images sur la vie future, et c’est d’Espagne que, pour la première fois, l’histoire et les légendes de Mahomet passèrent aux littératures occidentales. On y connaissait d’autant mieux son voyage nocturne qu’il était chez les fidèles un article de foi et une fête religieuse. Même encore aujourd’hui on le célèbre dans tout l’Islam, en Turquie comme en Égypte, comme au Maroc. A Constantinople, le Sultan assiste à un office de nuit dans la mosquée du sérail. Dante a fort bien pu l’entendre d’un juif espagnol, d’un Arabe, d’un chevalier de Frédéric II revenu de la Terre-Sainte. Et il l’a presque certainement entendu de son maître Brunetto Latini. Ce notaire florentin, érudit encyclopédique, avait été envoyé vers 1260 par le parti guelfe à la cour d’Alphonse le Sage, élu empereur d’Allemagne, pour lui demander du secours contre les Gibelins qui défendaient Manfred, roi de Sicile. Tolède lui produisit une très forte impression.

Son grand livre, son Trésor, qu’il a écrit « selon le parler de France… pour ce que le parleure française est plus délitable et plus commune à tous langages, » ce Trésor, que du fond de l’Enfer il recommandait à Dante, est chargé de science et de philosophie arabes. On en a exploré les sources classiques et chrétiennes : les sources arabes sont au moins aussi nombreuses. Et Brunetto Latini a été le conseiller littéraire de Dante. D’autre part, le poète de la Divine Comédie ne pouvait être retenu dans sa curiosité de la littérature islamique par des défiances de pays ou de race. Lorsqu’il composait son traité De vulgari eloquio, il s’y déclarait citoyen du monde. (On dit ces choses-là, et puis on se plaint du pain de l’étranger.) Il y reconnaissait que « beaucoup de nations parlaient des langues plus agréables et plus utiles que celles des peuples latins. » Enfin, il nous a prouvé qu’il savait quelque chose de l’histoire de Mahomet et qu’il avait de la sympathie pour les penseurs musulmans.

S’il damne Mahomet, il le damne non comme fondateur de religion, mais comme semeur de schisme et de discorde ; et il le met à côté d’autres fauteurs assez insignifiants de scissions religieuses et civiles. « Mahomet, dit M. Asin, n’est pas pour Dante celui qui a nié la Trinité et l’Incarnation, mais le