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peu de la question du pétrole, envisagée du point de vue économique. A partir du moment où les besoins des armées en combustibles liquides se révélèrent pressants et où, en même temps, il devint difficile de les satisfaire, en raison de l’activité des sous-marins, le public commença de s’émouvoir. D’ailleurs, les prix de l’huile lampante augmentaient rapidement, et beaucoup de gens en souffraient dans leur intérieur.

Mais ce ne fut pas la plainte des petits consommateurs qu’entendit et accueillit d’abord le gouvernement. Ce fut celle du haut commandement des armées qui, vers 1917, se demandait si les services à l’arrière (camions automobiles) et celui de l’aérostation n’allaient pas être compromis par la raréfaction du carburant. Le stock militaire de prévoyance, en effet, était tombé de 40 000 tonnes à 22 000, et les fournitures mensuelles, fixées à 40 000 tonnes aussi, n’atteignaient plus que difficilement ce chiffre.

Que s’était-il donc passé ?

Il s’était passé que le trust français des importateurs et raffineurs de pétrole finissait par trouver trop onéreux l’engagement qu’il avait pris, en août 1914, d’assurer le ravitaillement de nos armées. Il devenait de plus en plus difficile, pour cette firme[1], de se procurer du fret, d’en supporter le coût, toujours accru, de se procurer aussi des facultés suffisantes de paiements en dollars, tandis que la nécessité d’entretenir des stocks de plus en plus considérables de pétrole et d’essence entraînait l’immobilisation de très forts capitaux.

Il fallut passer la main à l’Etat, seul capable de vaincre de telles difficultés par une entente directe avec les grands organismes exportateurs et, en fait, avec le gouvernement américain[2]. En juillet 1917 fut constitué « le comité des pétroles, » à la tête duquel fut placé le sénateur Henry Bérenger.

  1. On se sert ici des expressions de trust, de firme, d’une manière un peu figurée et, en somme, pour abréger. En réalité, il existait plutôt une entente étroite que des engagements précis entre les huit ou dix grandes maisons qui « contrôlent » le marché français des pétroles.
  2. « Avant de pouvoir mettre à la disposition de nos généraux le liquide générateur de mouvement, on eut île graves anxiétés. C’est alors que M. G. Clemenceau transmit au président Wilson certain télégramme pressant rédigé par AI. H. Bérenger. Les États-Unis, bousculant les intérêts de certains de leurs plus puissants trusts, prirent les décisions nécessaires pour envoyer en France tout ce dont notre front avait besoin… Cette abondance devint en réalité une des principales causes de la victoire. Elle en apparaît maintenant comme le secret… La facilité des transports par camions donnant au maréchal Foch la faculté de déplacer rapidement les unités, lui permit de réaliser pleinement des effets de surprise… etc. etc. »
    M. JACQUES JARY, Renaissance, du 3/1 19 : 20.