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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/697

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appelait son gracieux Ariel. Et il ne pouvait pas emmener en Italie cet Ariel. Il partit cependant. Et, un peu plus tard, il écrivait à l’un de ses amis parisiens : « Puisse toute l’Europe s’épuiser en cris de rage, tous ses enfants s’entr’égorger ; puisse Paris brûler, pourvu que j’y sois et que, la tenant dans mes bras, nous nous tordions ensemble dans les flammes ! » L’ami parisien savait que Berlioz ne devait obtenir une telle abnégation ni de l’Europe, ni de Paris et ni seulement de Camille. Donc, il répondit par des conseils de tranquille sagesse, auxquels Berlioz ne balança point de répliquer : « Ne me parlez pas d’un bonheur ordinaire ; je n’en veux pas. Le grand bonheur ou la mort ; la vie poétique ou l’anéantissement ! » L’alternai ive est bien posée, et rudement. Berlioz, à la villa Médicis, ne fit qu’attendre des nouvelles de Camille : et Camille n’écrivait pas. Berlioz était au désespoir : « Je l’aime si cruellement ! disait-il. Nous souffrons tant, nous autres, enfants de l’art aux ailes de flammes, nous dont les passions poétisées labourent impitoyablement le cœur et le cerveau ! Nous mourons tant de fois avant la dernière ! » Enfin, Camille écrivit à Berlioz : elle lui annonçait son prochain mariage avec M. Pleyel, facteur de pianos. Enfer et dam nation ! Berlioz n’hésite pas : il va tuer Camille, la mère de Camille et se tuera lui-même. Trois morts : la vie poétique n’en demande pas moins. Il achète une paire de pistolets à deux coups ; il se procure une fiole de laudanum et de la strychnine ; voire, il commande un costume complet de femme de chambre, la robe, un chapeau, un voile vert : car il se déguisera pour accomplir sa besogne de très sauvage poésie. Depuis Florence jusqu’à Gênes, il nourrit son projet de vengeance. Et puis, sur la route de la Corniche, une nuit de printemps, parfumée, douce et voluptueuse, le convainc d’estimer à son prix le plaisir de ne tuer personne et d’être au monde. Il ne tuera point Camille et l’oubliera. Il vivra. Mais, en quittant la villa, il a donné sa démission de pensionnaire. Pourvu que le directeur, le bon Vernet qu’on appelle M. Horace, ne l’ait pas transmise au gouvernement ! Il se dépêche d’écrire à M. Horace : « Un crime hideux, un abus de confiance dont j’ai été pris pour victime, m’a fait délier de rage depuis Florence jusqu’ici. Je volais en France pour tirer la plus juste et la plus terrible des vengeances. A Gênes, un instant de vertige, la plus inconcevable faiblesse a brisé ma volonté : je me suis abandonné au désespoir d’un enfant. Mais enfin, j’en ai été quille pour boire l’eau salée, être harponné comme un saumon, demeurer un quart d’heure étendu mort au soleil et avoir des vomissements