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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/806

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policière et militaire plus tracassière et plus insupportable. Cette conception asiatique et prussienne s’épanouit notamment sous Nicolas Ier. Les influences françaises ou anglaises, trop lointaines et toujours suspectes d’esprit libéral et de tendances révolutionnaires, ne parvinrent que rarement à balancer les affinités de la Russie officielle avec le germanisme. Jusqu’à la fin les rois de Prusse furent, contre la nation russe, les soutiens d’un despotisme qui servait leurs desseins. Il suffit pour s’en convaincre de lire la correspondance secrète de Guillaume II et de Nicolas II.

Ainsi survécut jusqu’à nous, sous un vernis européen, l’asiatisme russe. Jamais le régime autocratique ne fut plus asiatique que sous le dernier tsar : monarchie tombée en quenouille, à la fois faible et brutale, livrée à des camarillas de courtisans obtus, d’intrigants, de traîtres et de sorciers. « Grattez le Russe, vous trouverez le moujik, » a-t-on dit ; mais grattez le moujik et vous trouverez le Tatar, le Turc, l’Asiatique. Si l’on étudie ce phénomène politique et social extraordinaire que l’on appelle le bolchévisme, on y découvre d’abord des éléments spécifiquement russes qui ont dû paraître aux paysans moscovites moins étranges et insolites que nous ne l’imaginons ; les théories socialistes importées d’Europe sont un trompe-l’œil, les réalités sont russes et asiatiques : le communisme agraire, le despotisme sans frein ni limite, l’espionnage policier, le mépris de la vie humaine, l’atrocité des supplices, tout cela vient du fond lointain de l’histoire de la Russie.

Le bolchévisme, dans ses procédés de gouvernement, continue le tsarisme en l’aggravant. La violente secousse de la guerre, les révolutions, la dictature, ont effrité la façade occidentale dont l’effort patient des tsars avait masqué la physionomie vraie de la Russie ; les classes cultivées anéanties ou ruinées, le vieux fond tartare reparaît : ainsi, sur les plages de l’Océan, les grandes tempêtes brisent les digues, remuent le fond des eaux et ramènent au jour des épaves oubliées. Le bolchévisme s’est épanoui surtout en Moscovie, où le sang tartare et finnois domine ; chez les peuples qui ont dépassé depuis longtemps le stade du communisme agraire, il ne saurait plus s’acclimater. Le bolchévisme russe ne dure qu’en devenant de plus en plus asiatique ; c’est en Asie qu’il va chercher des recrues pour ses armées et sa police. Depuis longtemps déjà