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brouiller les cartes, car de grosses difficultés surgissant en Asie pourraient amener les Alliés à se montrer plus accommodants en Europe. Mais, depuis quelques mois, le nationalisme turc a trouvé un autre Allié, aussi inattendu que redoutable : la Russie des Soviets. La propagande panislamique et pantouranienne est aujourd’hui en étroite liaison avec la politique des bolcheviks.

Déjà, lors des négociations de Brest-Litovsk, Talaat avait été frappé du parti que, en cas de nécessité, les Jeunes-Turcs pourraient tirer du bolchévisme. C’est en juillet 1919 que commence à s’opérer l’étrange conjonction. Un congrès réunit à Moscou les représentants des bolcheviks et des principales organisations politiques musulmanes, et décide de propager les doctrines communistes parmi les peuples de l’Islam. Le 7 août se tient à Erzeroum un congrès des nationalistes turcs auquel prennent part des délégués du Caucase, de la Perse et : du Turkestan ; on décide de collaborer avec les bolcheviks et de participer avec eux à la fondation d’une « ligue pour la libération de l’Islam. » Sous les auspices de « la section musulmane du département oriental du Commissariat du peuple aux Affaires étrangères, » cette ligue est, en effet, créée à la fin d’août ; son Comité central directeur siège à Moscou ; elle englobe des nationalistes turcs, persans, afghans, indous, égyptiens, caucasiens, ainsi que des musulmans russes. Deux sous-comités travaillent sous la haute direction du Comité central de Moscou. Le premier est le Comité central de l’Orient, qui, s’occupant de l’Asie, a son siège en Anatolie, dans les provinces occupées par Mustapha Kemal, et est dirigé par les nationalistes turcs. Un représentant des Soviets, M. Aghapar Mahmudoff, Tartare de Kazan, communiste, séjourne dans l’entourage de Mustapha Kemal. Le second est le Comité européen, qui a son siège à Berlin et s’occupe de l’Europe et de l’Afrique[1]. Moscou, Sivas, Berlin : le rapprochement de ces trois noms ne prend-il pas, dans les circonstances actuelles, une frappante signification ? À la trinité sinistre des trois « pan : » pangermanisme, panislamisme, pantouranisme, il faut maintenant en ajouter un quatrième, qui complète la détestable collection : panbolchévisme.

  1. Le Times des 22 décembre et 3 février a donné des détails sur ces faits.