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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/843

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pour sa vie. Charles VII, en écoutant cette pucelle, n’allait-il pas se rendre ridicule aux nations étrangères ? ou se laisser leurrer par la messagère de quelque hérésie nouvelle ? Gelu suppliait que le Roi ne conversât pas seul avec elle. Mais ces précautions une fois conseillées, Gelu disait : « Il est autant aisé à Dieu de vous mettre en mains la victoire avec peu qu’avec beaucoup de forces, par le bras et l’exploit des filles et des femmes, non moins que par celui des hommes. » Trop bon théologien pour s’offusquer de ce qu’il peut y avoir d’imprévu dans les conseils divins et de paradoxal dans les miracles qui s’y concertent, Gelu concluait qu’il fallait que le roi jeûnât, et vaquât à ses exercices de piété, pour être éclairé du ciel et préservé d’erreurs[1]. C’était un sage que l’archevêque d’Embrun, oh ! combien sage ! Mais sans doute, sous la mitre, avait-il assez médité sur la « folie de la croix, » pour admettre que Dieu pût ici-bas faire d’autres « folies. »

Embrun, questionné, avait finalement répondu par un point d’interrogation. les théologiens de Chinon furent d’avis qu’on menât Jeanne à Poitiers, où avaient émigré les universitaires parisiens fidèles à Charles, et que, là, on l’examinât encore. « J’aimerais bien mieux être auprès de ma pauvre mère, disait-elle, car ce n’est pas mon état ; mais il faut que j’aille, parce que Messire veut que je fasse ainsi… » Messire, c’était le Christ, dont elle allait dire aux théologiens la volonté.

Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France, les convoqua. C’était un politique : transplantée dans un monde supérieur à celui des intrigues humaines, son intelligence vacillait. Il y avait autour de lui, entre autres docteurs, les évêques de Poitiers et de Maguelonne, Gérard Machet, confesseur du roi, futur évêque de Castres, et qui sera l’un des défenseurs de la Pragmatique Sanction, le bénédictin Pierre de Versailles, futur évêque de Meaux, qui plus tard représentera le pape Eugène IV auprès des Grecs et du roi de France[2]. Curieuse destinée que celle de Pierre de Versailles ! En 1412 ou 1413, séjournant à l’abbaye orléanaise de Micy, il avait, « pour remplir, disait-il, son devoir envers la patrie et le

  1. Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, I, p. 2-5 (Paris, 1890, d’après le manuscrit de l’Histoire générale des Alpes Maritimes et Cottiennes, du P. Marcellin Fournier).
  2. De Launay, Jehanne la Pucelle, janvier-mars 1913, p. 8-9.