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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/899

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les découvreurs de terres nouvelles, et les pionniers de ces terres, vrais fondateurs de l’Empire, tous ceux-là qui ont découvert les routes, parce qu’une voix, une puissance, un besoin leur étaient venus (came the Whisper, came the Vision, came the Power with the Need) — les hommes dont les squelettes verdissent au fond de la mer, et ceux qui ont marché devant eux par la banquise, le veldt et la prairie, que la faim et la soif et le froid ont couchés sur la terre : et les Anglais, en suivant le chemin marqué par leurs ossements, sont entrés dans leur héritage[1].

Et, par-dessus toutes ces évocations, l’Empire, l’Empire achevé, les colonies, les Dominions, chacune à son tour, avec sa lumière, ses paysages, ses senteurs propres, chargées de nostalgie. Matins immobiles et sans souffle du monde austral ; voiles de fumée sur l’horizon de la brousse en feu ; immenses prairies sans clôture, où courent les ombres des nuages, où la charrue est seule dans le sillon d’une lieue, sous le vol des goélands venus des Grands Lacs ; orages, déluges, et puis pâle azur de l’Afrique du Sud, parfums du Karrou grillé ; chères et sombres nourrices de l’Inde, et leurs chansons païennes, fraîcheur des profondes vérandahs, flamboyante joaillerie de la mer tropicale, palmes dans le clair de lune, mouches de feu dans les cannes à sucre[2] ! Et déjà, dans la Chanson des Anglais, après les paroles des morts attestant leur sang versé, après les promesses des (ils, toutes les grandes cités de l’Empire sont apparues, celles d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie, et chacune se proclame : Bombay, bruyante du bruissement de toutes les races dans ses bazars et de ses mille usines ; Calcutta, Puissance née du limon — de la mort entre les mains, mais de l’or ; Madras, que Clive baisa sur la bouche et les yeux, jadis couronnée plus haut que les autres reines, et qui rêve à sa gloire ancienne ; Victoria, où l’Occident se change en Orient, rivet où se noue la chaîne magique de l’Empire ; et toutes les autres qui se lèvent, se déclarent à leur tour et saluent la vieille mère, l’Angleterre aux cheveux gris, qui accueille ses enfants et leur répond :


Vraiment vous êtes du Sang, plus lents à bénir qu’à bannir, —

  1. Song of the Dead.
  2. The Native Born, passim.