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lui-même que toute son œuvre sera employée à orner et à enrichir. Le romantisme commence lorsqu’un auteur, en écrivant, quoi qu’il écrive, nous occupe plus de lui que de nous.

Lamartine, par malheur, ne resta point le poète à la vie cachée qu’on rêve d’après ses vers, et qui en est comme le double, figure immatérielle et vaporeuse. Il était devenu un des hommes du jour, député, journaliste, orateur, voyageur : sa personne était connue autant que son génie. Il ne put plus, la presse aidant, disparaitre derrière sa poésie. On la rattacha à lui, on l’y chercha ; on voulut savoir ce qu’elle signifiait dans sa vie individuelle et quotidienne.

Sensible à la gloire, hélas ! et toujours à court d’argent, il commit un crime esthétique. Il offrit au public les secrets de sa vie privée ; il écrivit les Confidences, Raphaël, Graziella. Il publia, enfin, cette édition de 1849, où, non content d’insérer des fadeurs de keepsake parmi les admirables Méditations de 1820 et de rompre l’unité artistique du recueil, il y cousait de malencontreux Commentaires qui en faussaient et en rapetissaient la signification. Rien ne sert de dire que toute cette littérature autobiographique était le roman, et non l’histoire de sa vie, que tout, êtres et faits, n’y paraissait qu’idéalisé par le souvenir, transformé par les partis pris psychologiques, sentimentaux et esthétiques de l’auteur. Du moment que la prétention d’exposer des faits réels était posée, il n’y avait plus de roman, il n’y avait plus de fiction, il n’y avait plus de poésie. C’était vrai, ou faux, exact, ou inexact ; tout arrangement était erreur, ou mensonge.

Et le pis, l’irrémédiable, était cette prétention d’exposer des faits réels. Lamartine se racontait, se confessait, il prenait pour confident de ses amours le collégien, la pensionnaire, ou la femme du notaire. Il rabattait vers lui, vers un grand homme, je veux bien, mais tout de même vers une petite-individualité bornée, l’immensité de sa poésie. Il limitait l’infini de l’émotion et du rêve que ses vers avaient ouvert. En forçant le lecteur de penser à Mme Charles à propos du Lac ou de l’Immortalité, il fermait le ciel, et coupait les ailes à l’imagination. Du poème de l’humanité douloureuse, on retombait vers la curiosité vulgaire de la vie des autres. On n’exaltait plus, on ne sublimait plus sa propre vie au contact de ces pures douleurs. On les voyait passer comme les bonnes femmes des villes du Nord