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là qu’un procédé de classement. Si je le crois, c’est que nul des cinq poèmes ne contient un seul vers où l’on remarque un seul trait qui, ailleurs et dans les poèmes certainement composés pour Astrée, caractérise cette dame, ni la comparaison d’elle et des astres, ni les métaphores tirées du ciel réel ou fabuleux, empruntées à la mer et aux voyages que les constellations guident, ni le nom de Françoise et l’analogie de la framboise. Ou je me trompe, ou ces poèmes n’étaient pas pour Astrée d’abord.

Je ne crois même pas que tous les poèmes rangés dès 1578 sous le titre de Sonnets et Madrigals pour Astrée aient été d’abord, — tous, — destinés à elle. Ainsi, le premier Madrigal ne convient pas à la même personne qui, le premier jour qu’on l’a rencontrée, vous a donné dragées et confitures, qu’on loue de ne se point farder, qu’on engage à ne se point parer de joyaux inutiles :

J’aime et jamais je ne vis ce que j’aime…
L’œil peut faillir, l’oreille fait de même ;
Mais nul des sens mon amour n’a fait naître.
Je n’ai ni vu, ni ouï, ni touché :
Ce qui m’offense à mes yeux est caché…

Le poète se demande si nos esprits ne se connaissent point aux cieux avant de revêtir les corps d’ici-bas et ne gardent pas, dans les corps, le même sentiment qu’au ciel ils avaient eu ; ou bien il se demande s’il n’est point fol et se console à se dire qu’ « aimer en l’air une chose inconnue » vaut mieux pourtant que n’aimer rien, comme Ixion « qui pour Junon embrassait une nue » Ce Madrigal convient-il à une personne que M. Charlier définit en ces termes : « Sa réputation et celle de sa famille autorisaient déjà l’audace du poète ; sa grâce provocante a dû faire le reste ? » En vérité, je ne le crois pas Mais, en 1578, Mme d’Estrées ne se rappelait pas que Ronsard lui eût adressé tels Sonnets et tels Madrigaux : Ronsard a fait son édition de manière jolie plus que fidèle exactement.

Si l’on réduit aux poèmes que Ronsard a très évidemment écrits pour Astrée le témoignage de son amour, il est difficile d’y apercevoir cet « accent personnel » que signale M. Charlier, cette passion qu’il devine et qui fait qu’il place la dame d’Estrées entre Marie de Bourgueil et Mlle de Surgères.

En 1570, la dame d’Estrées appartenait à M. du Gua et, en définitive, l’aimait assez bien pour que, huit ans plus tard, elle eût gardé rancune vive de sa mort. Et Ronsard, à cette époque, était déjà très