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qui disperse les ténèbres de la chair et du cœur. Mme de Clèves est toute parée de cette auréole.


IV. — L’HISTOIRE : FRANÇOIS DE LORRAINE

Reprenons maintenant dans l’histoire les trois personnages qui auraient en réalité joué les rôles distribués par Mme de La Fayette à ses héros de roman. Il en est un, sur les trois, que Mlle Valentine Poizat, malgré son imprudente vivacité dans l’argumentation, n’a tout de même pas osé retenir pour sa thèse, et c’est le mari, François de Lorraine, duc de Guise. Il ferait éclater le cadre où l’on voudrait l’enfermer. Songez donc : François de Lorraine est l’un des plus formidables capitaines et hommes d’État de tout le formidable XVIe siècle. L’un de ses historiens, le baron de Ruble[1], le représente ainsi :

Né à Bar, le 17 février 1519, il porta d’abord le nom de comte d’Aumale et fit ses premières armes en 1542. Il n’avait que 26 ans quand il reçut, pendant le siège de Boulogne, une blessure au visage qui lui laissa le surnom de Balafré. Duc d’Aumale et pair de France en 1547, il devint gouverneur du Dauphiné et prit part à toutes les campagnes du règne de Henri II. Après le désastre de Saint-Quentin (10 août 1557), il sauva la France par la conquête de Calais, de Thionville et d’Arlon. Jamais prince n’avait été doué de qualités plus brillantes : une bravoure qui entraînait les soldats ; un coup d’œil toujours juste sur les champs de bataille ; une prudence infaillible ; par-dessus tout cet art de commander, jusqu’à fanatiser les hommes, qui est le privilège des grands capitaines. Son application au travail lui permettait d’étudier les moindres affaires par lui-même, de lire toutes ses lettres et de corriger de sa main toutes les minutes qu’il devait signer. L’ambition, l’orgueil gâtaient ces qualités. Généreux, « magnifique » comme pas un seigneur de France, sa maison était montée comme celle d’un roi ; il entretenait une cour nombreuse, une garde, une clientèle de gentilshommes qui l’auraient suivi au bout du monde ; ses flatteurs le disaient issu de Charlemagne et il faisait volontiers étalage de sa prétendue origine impériale ; il signait habituellement François, prérogative que les princes du sang de France et à plus forte raison les princes étrangers laissaient toujours au Roi.

  1. L’assassinat de François de Lorraine, duc de Guise, par le baron de Ruble, de l’Institut (Emile Paul édit. 1897).