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ma connaissance, et en tout cas pas la langue française, ne possède l’équivalent et qui signifie, toujours d’après les dictionnaires, le goût de faire du mal.

Que ce trait existât déjà chez les Allemands au commencement du XIXe siècle, cela est possible et, qu’en ce cas, il ait échappé à Mme de Staël, cela est certain. Mais il y a un autre trait que nous avons appris à connaître à nos dépens également et qu’elle a parfaitement démêlé : « Les Allemands, dit-elle, réunissent la plus grande audace de pensées au caractère le plus obéissant. La prééminence de l’état militaire et les distinctions de rang les ont accoutumés à la soumission la plus exacte dans les rapports de la vie sociale. Ce n’est pas servilité, c’est régulariser chez eux que l’obéissance ; ils sont scrupuleux dans l’accomplissement des ordres qu’ils reçoivent, comme si tout ordre était un devoir. »

Servilité : le mot y est et s’il n’est pas appliqué directement, c’est que Mme de Staël ne veut pas blesser les habitants d’un pays où elle a été bien reçue, mais il est au fond de sa pensée, et cet « accomplissement scrupuleux de tout ordre comme s’il était un devoir, » n’est-ce pas là l’explication, la prédiction en quelque sorte d’actes de férocité accomplis par des hommes qui, peut-être individuellement, n’étaient pas féroces ?

Par-dessus tout, ce que peuvent invoquer contre l’acte d’accusation si fréquemment renouvelé contre Mme de Staël, ceux qui ont quelque souci de l’impartialité, c’est qu’elle a dépeint l’Allemagne de 1804 à 1810 et que l’Allemagne d’alors était fort différente de l’Allemagne d’aujourd’hui, telle que l’ont transformée d’abord la lutte soutenue par elle pour son indépendance contre Napoléon, ensuite et surtout l’hégémonie de la Prusse s’étendant peu à peu sur toute la confédération et aboutissant à l’Empire façonné par Bismarck. Il n’y a qu’un pays qui, au cours du siècle écoulé, ait donné l’exemple d’une transformation aussi profonde : ce pays c’est la France. Quelle différence en effet entre la France des premières guerres de l’Empire, la France belliqueuse, éprise de Napoléon, uniquement soucieuse de la gloire des armes, oublieuse de la liberté, et la France d’avant la guerre dont nous sortons à peine, la France démocratique, jalouse de toute supériorité ou autorité, et qui paraissait détachée de tout rêve de gloire, avant tout pacifique et laborieuse. C’est avec cette comparaison présente à