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Cette lettre est la dernière de celles adressées à Mme de Staël. Elle est de 1816. On y trouve l’expression de l’irritation que causait à La Fayette, toujours fidèle à ses idées libérales, la politique suivie après les Cent Jours par la Restauration et en particulier les lois dont le Ministère avait saisi la chambre qui fut surnommée la Chambre introuvable. La Restauration s’appuyait sur la Sainte-Alliance qu’il compare à la coalition qui fut, au mois d’août 1791, conclue à Pilnitz, contre la France. La Chambre Introuvable fut du reste dissoute l’année suivante.


XX


La Grange, 17 novembre.

Que vous êtes bonne, chère madame, d’appeler votre vieux ami de l’autre monde et de l’autre système, tandis que la libéralité des ultras et la constitutionnalité des ministres tourbillonnent autour de vous ! Ce jeu de marionnettes, comme vous dites très bien, serait assez intéressant ; mais vous ajoutez avec trop de raison que les fils sont ailleurs que chez nous, et c’est un sujet d’irritation sur lequel, quoi qu’on ait dit de mes offres d’Haguenau[1], je ne me sens aucun esprit de diplomatie. Mon intelligence est même assez grossière pour ne savoir pas distinguer la Sainte-Alliance d’avec la coalition de Pilnitz et la bienveillance de M. Pozzo[2]d’avec celle de M. Canning[3]. Vous voyez que je serais déplacé dans les salons, voire dans les meilleurs, mais je serai plus heureux de vous revoir et de causer avec vous que je ne puis l’exprimer, chère madame. A tous les motifs que j’aurais pour aller à Paris, je trouve un plus fort contre-motif pour rester ici, et, en dernière analyse, il ne me parait nécessaire d’en sortir que parce que je ne puis pas me passer de vous voir. Les Ultras sont très amusants ; il n’y a

  1. La Fayette, après avoir été, en exécution de la mission qu’il avait reçue, jusqu’à Laon, avait obtenu des passeports pour passer au travers des armées alliées, et il avait poussé jusqu’à Haguenau où était le Quartier Général des souverains.
  2. Le comte Pozzo di Borgo, Corse d’origine et ennemi en quelque sorte personnel de Napoléon, avait été nommé par l’empereur Alexandre son ambassadeur à Paris.
  3. George Canning, le grand homme d’État et orateur anglais, Tut de 1816 à 1820 à la tête des affaires de son pays.