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de ses incantations musicales, nous avions fini ou plutôt commencé par ne connaître d’autre façon que la sienne. La puissance de sa musique nous avait imposé son poème et nous ne savions que par lui, aventures et sentiments, les personnages de l’immortelle légende de l’amour et de la mort. Grâces vous soient rendues, monsieur, pour avoir restitué à la France un poème qui est de France. »

Ce passage, écrit par un lettré et par un musicien, n’est que trop vrai, et pourtant il fait rêver. Qui sait si le succès même du livre de M. Bédier n’a pas été rendu plus aisé par cette gloire dont Wagner avait environné les deux amants ? Il y a bien d’autres légendes de notre moyen-âge qui sont aussi belles ; et celle de Lancelot et celle de Merlin Les curieux seuls les connaissent. Pourquoi les six volumes des Romans de la Table Ronde de Paulin Paris n’ont-ils pas été tirés à cent éditions, comme le volume de M. Bédier ? La matière est aussi riche, et le talent n’est guère intérieur. Enfin dans l’œuvre même, de Wagner, est-il si facile de distinguer ce qui est allemand et ce qui est français ? Le passage le plus allemand est sans doute le duo du second acte ; je croyais, comme tout le monde, que cet appel passionné à la mort, était du plus sombre génie d’outre-Rhin, et qu’il y avait là du Schopenhauer mis en musique. Ne vous y fiez pas. Ce duo est dans le poème même de Beroul. « Non, dit Trisian,… ce n’est pas ici le verger merveilleux. Mais un jour, amie, nous irons au pays fortuné dont nul ne retourne ;… le soleil n’y brille pas et pourtant nul ne regrette sa lumière… » Qui n’entend le balancement de la mélodie douce et désespérée, que ce passage a inspirée à Wagner ? On le croyait le plus germanique du poème, il est justement celtique…

Pour le portrait de Rostand, M. Barthou l’a tracé avec émotion et il est charmant. Il a montré ce vrai poêle, timide devant son génie et inquiet de sa tâche. Il a fait justice de bien des légendes. Il l’a montré souffrant de cette réclame insensée qui offensait sa délicatesse, méfiant envers soi, brave pour les autres, de cœur fidèle et d’esprit gracieux. Mais on n’évoque pas en vain la poésie. Déjà M. Bédier avait dit, avec beaucoup d’art et de pathétique, un poème du Vol de la Marseillaise, et on l’avait longtemps applaudi. M. Barthou, piqué d’émulation, a dit, avec une grâce plus alanguie, une jolie réponse en rimes que Rostand envoya de Cambo. Il y a des heures dans la nature où les sous-préfets font des vers. Il y en a où les ministres de la guerre récitent des sonnets. C’est la revanche des muses.


HENRY BIDOU.