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Sont-ce là des griefs, car j’e ne veux vous rappeler que ceux-là, dont un seul suffirait pour m’éclairer, si je n’étais pas sous le charme.

Grand Dieu, si j’étais femme, que j’eusse quarante-cinq ans, et que je fusse encore jolie, ah ! comme je me serais conduite autrement que vous!

J’aurais d’abord tâché de deviner quel caractère avait l’homme qui m’adorait (songez qu’il ne s’agit que de moi femme), et, selon ce caractère, j’aurais ou pris en plaisantant tout ce qu’il m’aurait dit, et, s’il avait persévéré, j’aurais entouré ma défaite de tout le charme d’une bonhomie sans prétention, ou, plutôt, je l’aurais, je crois, sincèrement aimé, quand ce n’aurait été que par reconnaissance, et ne calculant rien, parce que jamais l’amour n’a connu Barème; je me serais livrée à ce sentiment, en tâchant d’y retrouver, quant à moi, les délices du premier âge, ses innocentes illusions, ses naïvetés et tous ses charmants privilèges.

Je vous ai dit que j’avais fait un thème pour ma vie, que ma jeune imagination a été étourdie. Voyant dans le puits, elle a cru y voir la tête de la déesse qui s’y cache; peut-être n’a-t-elle vu que la sienne propre.

Enfin, elle a cru que le plaisir était le seul texte à suivre, le seul chanvre dont on doit faire sa toile.

Elle a dirigé toutes ses forces de ce côté, elle y a mis son bonheur, ci, à la première tentative, elle échoue, et elle échoue devant une charmante personne qui pense comme elle!

Quel triste gage pour l’avenir, que d’espérances renversées, surtout quand j’ai la présomption de croire qu’auprès de la plus jolie et de la plus fière des femmes j’en aurais assez fait pour être mille fois plus heureux.

Quel problème pour moi qu’une femme qui retrouve, dans le commencement de son automne, des jours aussi beaux que ceux de l’été, qu’une femme[1]d’esprit qui juge le monde tel qu’il est, se refuse à cueillir la pomme qui perdit nos premiers parents.

Mais peut-être je m’abuse; il se peut que j’aie plus de torts que vous; ayez moins de torts que je ne vous en donne, et que j’en aie plus de mon côté. Je conviens que la dernière chose à

  1. Membre de phrase biffé : « Convaincue que le plaisir et les amours sont les seules... »