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S’asseoit-on sur ces bancs, franchit-on cette haie normande? Le piano, le chant est-il abandonné? Vous ne m’avez pas seulement dit où l’on a placé les deux sépias de Mlle J....

Je ne vous ai pas raconté mon voyage de Cherbourg, qui, certes, est bien digne d’une belle lettre, je dis belle, par les travaux dont il serait parlé. Ces travaux sont la plus belle conquête des hommes, le nec plus ultra des constructions humaines, et jamais les Romains, n’ont rien fait d’aussi étonnant. Les pyramides d’Egypte ne sont pas si colossales, pour l’art et pour l’exécution. Enfin, l’esprit et l’œil sont tellement étonnés des proportions gigantesques de ces admirables projets que, lorsqu’on revient de là, rien n’est plus saillant. On ne trouve plus de difficulté, parce que l’on a construit une autre échelle de comparaison pour l’impossible. L’audacieux génie qui a osé promettre au génie d’alors[1]de réaliser de pareilles conceptions, mourra sans récolter le laurier qui lui appartient : M. Cachin, l’Homère, le Newton, le Dante de l’architecture[2], n’est connu que des savants et ce nom, qui devrait être populaire, est le point de mire de la plus basse envie. Quelque jour je vous ferai une analyse de ces travaux qui donneront une haute idée de notre peuple, et vous concevrez alors qu’il ne peut pas y avoir de bornes à l’enthousiasme qu’excitent de pareilles créations.

Je compte partir le 9 ou le 10 d’août, ainsi vous pouvez m’écrire encore une fois. Adieu, je vous serre toujours cette main dénuée de sentiment, et je vous prie de présenter à madame Vaillant les tendres hommages qui lui sont dus. Vous me devez aussi ces lettres brûlées. L’autre jour, Surville chantait: « Que le jour me dure ! » Grand Dieu, qu’il chante mal et que votre chant, que je n’appréciais pas jadis, m’a paru charmant ! Readieu.

P. S. — Ne dites pas chez nous que je vous écris, cela fait mauvais effet. Je vous envoie des litanies, et à eux des oraisons. La comparaison ne fait pas plaisir à… et c’est juste. Il ne me restait plus que d’être un mauvais fils!

  1. Napoléon.
  2. Joseph-Marie-François Cachin, ingénieur, né à Castres en 1757, mort à Paris en 1825. Ce fut lui qui dirigea les travaux de la digue et des fortifications de Cherbourg.