Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

endormir? Songe donc que l’aspect seul de ta douleur, une larme, emportent mille belles résolutions !

Il y aurait quelque grandeur à nous cacher l’un à l’autre combien nous nous aimons. Il y aurait encore plus de grandeur à persister dans notre amour, je te laisse, ô chérie, cette décision. Aujourd’hui, comme il y a quatre mois, je te soumets tout mon sort, tout mon être, mon âme, en t’avouant que je n’ai fait que gagner par le contact de la tienne !

Hé quoi ! ma Laure, l’âme éloquente et pure du grand Rousseau ne nous a-t-il pas tracé l’immortel tableau de deux femmes idéales, aimant le même homme, et as-tu rien vu de plus généreux et de plus attendrissant que Claire? Oui, mais l’amant de Julie l’ignorait, et, s’il l’eût su !...

Je ne sais ce que Rousseau lui eût fait faire.

Ah ! laisse-moi t’avouer que mes douleurs me sont douces et que je suis heureux, aussi heureux qu’un homme puisse l’être, en me sentant aimer ainsi. Enfin, en te dédiant tout mon être et t’en faisant souveraine, je crois n’avoir rien fait en retour. Je te l’envoie ce baiser d’âme, de cœur, de tout, ce baiser auquel je voudrais rendre le domaine de la pensée ! O Laure, je t’aime encore plus que le jour de ce premier baiser du banc, et, pour être calme en apparence, mon cœur n’en est pas moins agité[1].


LETTRES DE MADAME DE BERNY
I

Si vous aviez été gentil, vous m’auriez fait dire hier, en m’envoyant la Revue, que vous ne seriez pas chez vous à 3 heures, mais...

Ne voulant pas encore aujourd’hui me faire dire par tous les gens de votre maison que vous n’y êtes pas, je vous prie de me faire dire si je peux, malgré le soleil ou la pluie, m’aventurer jusqu’à la rue de Cassini à 3 heures.

  1. Cette lettre porte comme suscription: Mme Deligny. Le nom de Berny effacé par Balzac a été remplacé par lui par celui inventé de Deligny. S. de L.