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ne pas chercher à exalter une de nos armées aux dépens de l’autre. Mais quand la presse française célèbre avec joie, comme une victoire nationale, un succès de tribune remporté par le Président du Conseil devant les délégués de toutes les nations, c’est, sans doute, une satisfaction pour notre patriotisme et notre fierté; c’est un moindre plaisir pour les autres peuples. Une fumée qui a pour nous des odeurs d’encens peut paraître un peu acre aux narines de nos meilleurs amis. Si nous nous plaisons trop à la leur faire respirer, elle leur monte au cerveau, et autant elle grise notre vanité, autant elle surexcite leur envie. Avec des habitudes moins théâtrales, la diplomatie n’aurait pas aussi souvent de ces effets inattendus.

Peut-être avons-nous, du moins, quelques enseignements à tirer, pour l’avenir, de la fâcheuse école qu’une fois de plus nous venons de faire. La première leçon qui s’impose, je crois, à nos esprits, c’est qu’il convient de ne pas transporter plus longtemps les mœurs parlementaires dans les conférences internationales. Elles n’y sont pas de mise et elles risquent d’y susciter des jalousies et des dissensions. Les terribles événements qui viennent de secouer le monde n’ont pas rapproché les peuples les uns des autres; ils n’ont pas fait prévaloir l’idée d’humanité sur l’idée de nationalité. Déjà, à la fin de ses magnifiques études sur l’Europe et la Révolution française, Albert Sorel remarquait que les nations qui, de 1793 à 1815, avaient lutté avec le plus d’énergie pour leur indépendance, cette indépendance conquise, l’avaient prétendu tourner à la suprématie. « A peine délivrés de Napoléon, les Allemands, disait-il, ont rêvé de Barberousse et d’Othon, maîtres des Italies, des Lotharingies, des Bourgognes et des Flandres. Après le risorgimento, en Italie, surgit, et sans transition, le primato. Ce qu’on nomme l’impérialisme naît, d’une génération nécessaire, partout où fermente, avec le sentiment de la souveraineté, l’orgueil populaire. Il est fils de la démocratie en Angleterre, comme il l’est aux États-Unis et comme il l’a été à Rome. » La guerre de 1914 à 1918 a ranimé les mêmes idées, réveillé les mêmes passions, ravivé les mêmes forces. Le monde est rempli d’impérialismes qui se jalousent, se combattent sourdement et se dénoncent les uns les autres. Il faut cependant ramener un peu d’ordre et d’équilibre dans ces éléments bouleversés.

Pour que la France contribue efficacement à cette reconstitution générale, et pour qu’elle soit sûre d’échapper elle-même aux menaces universelles de troubles économiques et sociaux, il est