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obligation de lui rendre Kiao-Tchéou et aurait pris des engagements équivalant à l’établissement d’un protectorat japonais sur toute la Chine : conseillers japonais pour la politique, les finances, l’armée, contrôle de la police et des emprunts à l’étranger ; arsenal et munitions japonaises, etc. : la japonisation de la Chine eût été un fait accompli. Le strict secret était une des conventions stipulées. Le Gouvernement de Pékin rejeta les clauses attentatoires à sa souveraineté, mais se vit contraint d’admettre les stipulations concernant Kiao-Tchéou. Il est ainsi avéré que le Japon a cherché à ce moment à profiter de la guerre pour parvenir à ses fins et mettre la main sur la Chine.

A la fin de l’hiver 1917, au moment même où les États-Unis entraient en guerre, la diplomatie japonaise obtint de ses alliées, Russie, France, Angleterre, Italie, des conventions secrètes par lesquelles ces Puissances, sans doute dans l’espoir d’obtenir de l’armée du Mikado un concours effectif, s’engageaient à reconnaître au Japon tous les droits de l’Allemagne sur le Chan-Toung. Le traité de paix général se trouvait ainsi préjugé. Il restait à la diplomatie mikadonale à obtenir l’assentiment des États-Unis ou du moins quelque chose qui y ressemblât : ce fut l’objet principal de la mission confiée, à l’automne 1917, au vicomte Ishii, l’un des plus fins diplomates de ce pays où tout le monde est diplomate. La négociation poursuivie aux États-Unis entre lui et M. Lansing aboutit à une de ces formules ambiguës qui, par elles-mêmes, sont à peu près dénuées de sens et qui ne prennent une valeur que par l’interprétation qu’on leur donne et surtout par l’avenir qui ajoute à l’une des thèses antagonistes le poids des succès ou de la force. Le texte Ishii-Lansing rappelle les plus fâcheux documents franco-allemands relatifs au Maroc. Les États-Unis obtiennent une double garantie : souveraineté intangible de la Chine ; respect du principe de l’open door (porte ouverte) : ils estiment par-là avoir garanti l’essentiel et sauvegardé l’avenir au moins jusqu’à la fin de la guerre. Mais le Japon obtient la reconnaissance de ses « intérêts spéciaux en Chine, particulièrement en ce qui concerne les parties qui touchent à ses possessions ; » les Japonais pensaient, eux aussi, avoir réservé l’avenir et espéraient bien, sous le couvert de leurs « intérêts spéciaux, » faire passer dans la pratique toutes leurs ambitions et obtenir que les autres Puissances n’agissent en Chine qu’avec l’assentiment préalable du Japon.