Page:Revue pédagogique, second semestre, 1915.djvu/493

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
481
ALBERT THIERRY

ment est envoyé en Artois. « Souhaitez-moi, nous écrivait-il, de prendre part à une grande victoire. » Il n’a pas vu la victoire. Il est tombé obscurément, confondu avec ses frères, par le même obus, en un groupe sanglant — et peut-être ne retrouverons-nous pas la place où il repose avec eux. Sacrifice total, sans ivresse, sans gloire, le seul digne de lui, de sa vie silencieuse, recluse et passionnée. Comme Charles Péguy qu’il a tant aimé, comme Paul Soulas dont la pure et touchante figure s’associe à la sienne inséparablement, comme Jacques Algarron, l’enfant généreux qui brûlait de mourir pour la France, — que de fois dans ses dernières lettres n’a-t-il pas tracé ces trois noms ! — comme tant d’autres, morts avant lui et après lui, Albert Thierry eut la soif, la passion du sacrifice, « O France, je vous donne tout », écrivait-il. Il lui a tout donné en effet, jusqu’à ce « grave amour terrestre » si longtemps attendu et qui vint s’offrir à lui, avec toutes ses promesses de bonheur, à la veille même de la guerre. Ainsi le sacrifice a pu être sans mesure, comme il le voulait, — toute une vie utile, belle et heureuse a pu être offerte pour le salut de la patrie.

Mais nous, de quelle dette pressante nous voici chargés. Ce ne sont plus seulement la patrie et le droit qui nous appellent, ce sont nos morts : ils ne veulent pas être tombés en vain. Tous ces vaillants couchés sous la terre ne reposeront en paix que lorsque nous aurons achevé leur tâche. Elle retentit désormais au plus profond de nous avec un tragique accent de prière, l’’émouvante parole d’Albert Thierry, l’une des dernières qu’il ait prononcées : « Puissions-nous vaincre, pour la consolation des morts ! »