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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/27

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ch. bénard. — l’esthétique de max schasler

des contradictions difficiles à concilier, des dissonances qui semblent détruire l’harmonie du système. C’est un début, et la science qui commence n’est pas faite. Sur tous ces points l’esthétique platonicienne laisse prise à la critique, et l’on fait bien d’en signaler les défauts. Il est même très-difficile de l’exposer comme de la juger. L’historien critique avait ici une tâche aussi délicate qu’élevée à remplir. L’a-t-il fait comme il convenait ? Il faut le dire, l’esprit le plus étroit a présidé à toute cette partie du livre et le dépare. L’auteur ne s’attache qu’à montrer partout des contradictions ou des incohérences dans la doctrine de Platon, à la rabaisser et même à la dénigrer. Finalement il constate que le tout se réduit à peu de chose (v. p. 79). On en est à se demander comment un esprit aussi élevé, comment un disciple de Hegel, a pu méconnaître à ce point la nature et la grandeur de cette doctrine ? N’a-t-il pas vu que toute son histoire lui donne à lui-même un éclatant démenti et contredit son jugement ? Car, enfin, si l’esthétique de Platon a si peu de valeur et se réduit à de si mesquines proportions, comment a-t-elle joué un si grand rôle dans l’histoire ? comment a-t-elle exercé une telle influence ? Ce ne sont pas seulement des hommes comme St. Augustin, ou Cicéron ou Longin qui l’ont subie, etc., ce sont aussi les princes de l’esthétique moderne ; c’est Solger, Schelling, Hegel lui-même. Le fond de cette doctrine, ils l’ont en partie adoptée : l’idée platonicienne. Ne fournit-elle pas à Hegel le premier terme de la définition du beau ? Et M. Schasler lui-même qui doit fonder le réalisme idéaliste ne fera-t-il pas de même ? On voit jusqu’à quel point l’esprit systématique peut fausser le jugement des hommes les plus éclairés. Selon sa rubrique, M. Schasler doit voir dans Platon le premier mode de la connaissance esthétique : l’intuition. Si elle n’exclut pas la réflexion et même tout à fait la spéculation à ce premier degré, elle y domine. Donc, tout doit être faible et confus dans Platon. C’est assez pour lui refuser la puissance spéculative, et une grande portée à sa doctrine. Aristote et Plotin auront une tout autre importance. Platon, d’ailleurs, c’est l’idéal abstrait, sa pensée prend des couleurs mystiques. M. Schasler a horreur du mysticisme. Cette logique inconsciente a tout à fait aveuglé chez lui le critique, l’interprète et l’historien ; elle lui a ôté sa clairvoyance la plus commune, sur l’œuvre du génie qu’il avait devant lui. Il a mieux aimé voir partout des contradictions que de les expliquer et de les concilier. Tout ce chapitre sur Platon est à refaire.

Aristote est beaucoup mieux ou plus favorablement traité. Mais la prédilection de l’historien pour celui qu’avec Hegel il admire le plus parmi les grands philosophes, ne l’a-t-elle pas égaré ? N’a-t-il pas