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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/200

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REVUE PHILOSOPHIQUE

des termes séparés les uns des autres par des intervalles vides, et par conséquent disséminés dans l’espace. — Le cours du temps serait encore, à l’origine, la « distinction du voulu et du possédé ». Mais d’abord on pourrait aussi bien dire que c’est la distinction de l’actuellement présent et du simplement pensé, du réel et du possible, du perçu et du reconnu, — et ensuite l’idée même d’une distinction précise et numérique implique déjà l’intuition d’un espace vide, où les deux termes distingués se juxtaposent.

À vrai dire, la question essentielle se pose ainsi : y a-t-il une seule espèce de multiplicité, — la multiplicité numérique, — ou peut-on en concevoir ou en percevoir une autre ? Si l’on se place dans la première hypothèse, — et c’est bien ce que paraît faire M. Guyau, — il est inutile de vouloir se représenter le temps sans l’espace, car on a commencé par mettre de l’espace dans le temps : qui dit multiplicité numérique dit multiplicité de juxtaposition, multiplicité dans l’espace. Si, au contraire, le temps est radicalement distinct de l’espace et concevable sans lui, ce ne peut être qu’à une condition : il faut qu’à côté de la multiplicité numérique il y en ait une autre, où n’entre ni distinction précise ni juxtaposition. Le psychologue devra alors nous montrer comment la multiplicité de pénétration s’exprime en multiplicité de juxtaposition. Et il ne pourra résoudre ce problème que, d’une part, en analysant la conscience dans les rares moments où elle se reprend elle-même, et, d’autre part, en interrogeant la science positive, la physique, l’astronomie et la mécanique, sur le rôle du temps en dehors de la conscience.

M. Fouillée nous paraît avoir poussé l’analyse plus loin que M. Guyau lorsqu’il nous dit, dans son introduction, qu’ « un être qui change en passant du plaisir à la douleur peut se sentir en train de changer alors même qu’il ne conçoit pas encore le rapport des deux termes du changement ». Il a également raison, lorsqu’il tient le temps pour une donnée de l’expérience immédiate, et point du tout, comme le voulait Kant, pour une forme a priori de la sensibilité. En allant jusqu’au bout de cette idée, il eût trouvé que la théorie de Kant consiste précisément dans une confusion de la durée réelle avec son symbole spatial, et que le problème posé entre les philosophes est toujours de savoir s’il y a deux espèces de multiplicité ou si nous n’en percevons qu’une seule.

H. Bergson.

Ch. Letourneau. L’Évolution politique dans les diverses races humaines. 1 vol.  de la Bibliothèque anthropologique. Paris, Lecrosnier et Babé.

Si l’on a pu comparer l’organisme social à l’organisme animal, s’il y a entre la sociologie et la médecine plus d’un point de contact, il y a aussi parfois quelque analogie entre les sentiments qui accompagnent