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— Que dis-tu ? moi, m’éloigner : moi, faire croire par ma fuite que je suis criminel ! Non, Élise, non, ne l’espère pas, tes craintes sont peu fondées ; mon innocence n’est-elle pas éclatante ? que peut-on me reprocher ?

— Ton rang, ta fortune, tes vertus : tout est crime pour ceux qui en sont souillés. Tu te fies en ta droiture, elle assurera ta perte ; les méchants tremblent tant que les bons existent. Vois-tu déjà le sang qui ruisselle partout ? Vois-tu les Français effrayés se précipiter en foule hors de leur patrie ? Suis leur exemple, et ne reviens parmi nous que lorsque l’orage sera dissipé.

— Et par ma fuite je te perdrais peut-être, j’exposerais ta vie ! non, je ne puis y consentir.

— Au nom de ton fils !

— Il m’ordonne de lui conserver sa mère.

— De notre amour !

— Il me retient auprès de toi.

— Barbare époux !

— Chère Élise !…

Et ces deux infortunés confondirent leurs larmes et leur douleur. Cependant le jour du fatal jugement arriva ; de grand matin on vint chercher mon père pour le traduire devant le tribunal révolutionnaire. Un vil ramas de misérables, perdus de dettes, de réputation, disposaient de la vie des Français. Ce fut devant eux que mon père parut. À l’aspect du vertueux comte d’Oransai, le peuple fit entendre un