Page:Sand – La Guerre, 1859.pdf/13

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Courez donc, vous qui avez des ailes ! Suivez ces démons de zouaves, orgueil de la guerre, — ces intrépides et agiles chasseurs de Vincennes que j’ai vus confusément dans mon rêve, mêlés à l’immense ligne des fantassins de toute arme, ces fiers cavaliers, ces puissants artilleurs dont les chariots sonores faisaient trembler et gémir la terre. Et vous, pauvres petits paysans étonnés, coupez vos longs cheveux gaulois et allez en paix. Quand vous reviendrez, vous porterez haut la tête !

C’est que vous aurez vu là-bas de grandes choses. Si rien n’est plus déplorablement illogique que l’Italien asservi, rien n’est plus beau que de le contempler dans le retour de sa volonté et de sa force. Comme le Français, l’Italien ne sait rien être à demi. N’est-ce pas un tempérament d’artiste ? Vous ne le verrez jamais marcher droit et ferme sous le bâton comme les autres esclaves. Il tombe ou il se couche par terre en disant : « C’est assez. Je suis perdu. Marchez-moi sur le corps, mon âme n’est plus ici. » — Mais à la moindre lueur d’espoir, voilà ce moribond qui fait des miracles. Vraiment cette terre italienne est bien celle qui rendait la vie à Antée, et il ne sera pas possible de la réduire. Détrompez-vous, césar allemand, le Vésuve est aux Alpes, et vous ne marcherez point là sans rencontrer l’éruption éternelle toujours grondant sous vos pieds incertains. Voyez déjà ce qui arrive ! Toute cette aristocratie de nom ou d’intelligence qui se lève, s’échappe, se dévoue, donnant tout à la sainte cause, corps et biens, au lieu de pactiser paisiblement avec l’oppresseur, c’est là un grand spectacle. Et cette France que l’on croyait morte aussi dans les tristes émotions du jeu, dans la soif de l’or, dans le luxe, dans la stérile splendeur des monuments et des jardins, cette France matérialiste et railleuse qui se joue de tout et ne sait rien vouloir… où est-elle aujourd’hui ?